Jean-Pierre Chrétien

Historien, spécialiste de l’Afrique des Grands Lacs

Publié le 25 janvier 2006 Lecture : 3 minutes.

« Pour moi, il est impossible que la recherche sur l’Afrique ne soit pas militante. Il faut défendre une curiosité à propos de ce continent contre l’idée qu’il n’intéresse personne ! » Jean-Pierre Chrétien, historien, spécialiste de l’Afrique des Grands Lacs, revendique haut et fort son engagement. Comment pourrait-il en être autrement ? D’abord spécialiste du Burundi et de l’exploration du passé, l’historien est rattrapé depuis plus d’une décennie par l’actualité violente de l’ensemble de la région. C’est avec en tête la question lancinante de la relation ambiguë entre passé et présent qu’il est venu, le 17 janvier, débattre des sujets faisant l’actualité de notre conférence de rédaction.

Car rien ne l’intéresse plus que de confronter son point de vue de chercheur, soucieux de la mise en perspective, aux réalités complexes du continent. Dans « Vues d’Afrique », le numéro de la revue Esprit qu’il a coordonné en 2005, il met en cause les regards figés posés sur le continent africain et, avec une vingtaine de chercheurs, relance les débats sur la nouvelle politique de la France en Afrique, sur la renaissance des religions traditionnelles, les enjeux des migrations, du sida et des subventions agricoles.
L’historien revendique aussi sa passion pour l’« avant » et l’« après » des événements. « Les journalistes devraient s’intéresser davantage aux périodes de reconstruction après les conflits en Afrique », suggère-t-il. Et de méditer, faisant écho à l’éditorial de Béchir Ben Yahmed consacré à Sharon et aux négociations israélo-palestiniennes : « L’Histoire est souvent faite d’occasions manquées »
Après trente ans d’enquêtes de terrain, d’articles et d’ouvrages, Jean-Pierre Chrétien a fondé en 2003 la revue Afrique et Histoire*. C’est à ce jour la seule revue française consacrée à la discipline historique spécialisée sur le continent. « Ce type de revue existait déjà dans les autres pays européens, mais pas en France. Nous voulions développer la discipline historique et sortir de la vision ethnographique à propos de l’Afrique. » Couvrant l’ensemble du continent, la revue semestrielle est disponible en librairie et bientôt sur Internet. Sans surprise, le professeur, pourtant récemment retraité, suit aussi de près le débat actuel sur les mémoires coloniales et l’histoire de l’esclavage. Il a d’ailleurs signé la pétition des historiens exigeant l’abrogation de l’article 4 de la loi du 23 février 2005 portant sur le « rôle positif de la colonisation ».
Pourtant, c’est le hasard qui l’a conduit à s’intéresser à cette région du monde. Jeune agrégé d’histoire, Jean-Pierre Chrétien voulait consacrer ses recherches à la République de Weimar dans l’Allemagne de la première moitié du XXe siècle. En 1964, il est prêt à partir au Congo-Kinshasa comme jeune recrue du service national en coopération, mais les troubles politiques en décident autrement. Il s’envole finalement pour le Burundi voisin, où, pendant deux ans, il prend en charge la formation de la toute première promotion de professeurs du pays fraîchement indépendant. Sans le vouloir, au Burundi, Jean-Pierre Chrétien retrouve ses premières amours. Dans ce pays colonisé par l’Allemagne avant la Première Guerre mondiale, de nombreuses archives sont rédigées en allemand. Une fois sur place, l’historien découvre aussi la richesse des enquêtes orales qui vont progressivement le fasciner et constituer le cur de son travail.

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À l’heure de passer la main, l’historien est optimiste. « En France, la relève de jeunes chercheurs travaillant sur l’Afrique est assurée. En Afrique, il faudrait que les professeurs aient les moyens de venir plus souvent en Europe pour échanger, qu’ils aient accès à des budgets de recherche, afin d’éviter de « déshabiller » les universités africaines de leurs meilleurs éléments ». Désormais plus disponible, Jean-Pierre Chrétien a maintenant davantage de loisirs pour continuer à s’étonner. « Je suis parti récemment comme touriste au Mali, dont je ne connaissais rien. Cette coexistence de communautés, cette histoire plurielle ! J’ai trouvé tout cela passionnant ! »

*Afrique et Histoire, revue internationale d’histoire de l’Afrique, parution semestrielle, éditions Verdier, Paris.

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