Bouteflika mise sur le Sud

Sous-représentées parmi l’élite et le personnel politique, oubliées dans les opérations de développement, les populations sahariennes bénéficient, enfin, d’un programme d’investissements conséquent.

Publié le 25 janvier 2006 Lecture : 4 minutes.

Près des deux tiers de la population algérienne n’occupent que 4 % du territoire. Concentrés sur la bande côtière (1 200 kilomètres de long et moins d’une centaine de kilomètres de large), les Algériens se désintéressent des 2 millions de kilomètres carrés que totalise le Sahara. Alors que les principales richesses du pays s’y trouvent – essentiellement pétrole et gaz, mais aussi uranium, diamant et or du Hoggar, sans oublier les trésors paléolithiques du Tassili -, ils ont toujours tourné le dos au Grand Sud. Ces immensités sablonneuses et rocailleuses n’ont pourtant jamais été abandonnées par les populations autochtones : Touaregs, Berbères noirs du Touat Gourara ou encore Mozabites.
Le Sahara avait constitué un important point de discorde lors des négociations entre les représentants des indépendantistes du Front de libération nationale (FLN) et le gouvernement français en 1961, l’ancienne métropole voulant le dissocier du territoire du futur État algérien. La délégation du FLN, dirigée alors par Krim Belkacem, avait été intransigeante : pas d’Algérie indépendante sans le Sahara.
Mais, depuis juillet 1962, date de naissance de la République algérienne démocratique et populaire, l’intérêt pour le Grand Sud, hormis les gisements pétroliers de Hassi Messaoud et gaziers de Hassi R’mel, a nettement décru. Au milieu des années 1970, le président Houari Boumedienne avait bien lancé un programme spécial de développement pour les Oasis, terme générique qui désignait la circonscription administrative de l’immensité désertique. Plus symbolique qu’efficace pour les populations locales. Durant les deux dernières décennies du siècle écoulé, les investissements consentis au Grand Sud étaient destinés aux seuls hydrocarbures.
Cela n’a pas empêché les populations autochtones de rester fidèles au pouvoir central et d’être « politiquement dociles ». Y compris les Touaregs, à l’apogée de la rébellion de leurs congénères maliens et nigériens.
Sans doute pour des raisons de poids démographique, mais pas seulement, les habitants du Grand Sud ont toujours été sous-représentés dans les centres de décision. L’élite « sudiste » formée dans les universités du Nord faute d’infrastructures locales revenait rarement au bercail. Résultat : les villes du Sud ne bénéficiaient pas des mêmes chances de développement que les autres régions du pays.
L’arrivée d’Abdelaziz Bouteflika au pouvoir en avril 1999 coïncide avec les premiers investissements hors hydrocarbures dans ces régions inhospitalières, et paradoxalement avec les premiers mouvements de mécontentement de la population. Ouargla, Béchar, Tamanrasset vivent leurs premières émeutes. La colère tourne autour des mauvaises conditions de vie, du recrutement de la main-d’uvre dans les structures pétrolières et du manque d’intérêt des pouvoirs publics. Sur 1 000 dinars investis en Algérie, moins de 5 sont destinés au Grand Sud. La disparité est relevée par le ministre des Finances de l’époque, Abdelatif Benachenhou, réputé proche du président. À l’occasion des émeutes de Ouargla, en 2003, ce dernier n’hésite pas à dépêcher trois ministres pour évaluer les revendications populaires et proposer des solutions à court terme.
Les agences de recrutement pour les sociétés pétrolières reçoivent instruction de donner la priorité à la main-d’uvre locale. Le rapport établi par les émissaires du chef de l’État confirme les propos de Benachenhou. Bouteflika décide de se rendre sur place et, en quelques mois, fait le tour des grandes agglomérations du Sud : Béchar, Laghouat, Ouargla et Tamanrasset. À l’occasion de cette tournée, il décide de consacrer 300 milliards de dinars (près de 400 millions de dollars) au renforcement de l’infrastructure et au développement local. Ces investissements entrent dans le cadre du programme de soutien à la croissance de 50 milliards de dollars. Mais la proportion reste faible : les 90 % du territoire ne recevront que 8 % de la somme promise à l’investissement.
En septembre 2005, à l’issue de ses visites à Laghouat et à Ouargla, le président demande à son Premier ministre d’élaborer un programme complémentaire de 377 milliards de dinars (500 millions de dollars) d’investissements étalés sur les quatre années à venir et répartis sur dix wilayas (départements). C’est cette rallonge qui était à l’ordre du jour du Conseil des ministres tenu le 14 janvier, le premier depuis l’évacuation de Bouteflika vers l’hôpital parisien du Val-de-Grâce, le 26 novembre 2005, pour une intervention chirurgicale.
Cette fois-ci, la priorité des investissements est accordée à l’amélioration du cadre de vie. Sur les 377 milliards de dinars, 296 milliards seront consacrés à l’habitat avec la construction de près de 60 000 logements, le transfert d’eau de la nappe d’In Salah vers Tamanrasset sur 700 kilomètres. Chacune des agglomérations du Grand Sud disposera désormais d’au moins un lycée, d’un complexe sportif, d’un hôpital, d’un institut de formation professionnelle et, pour certaines d’entre elles, d’un centre universitaire.
Le programme prévoit également la délocalisation de la ville de Hassi Messaoud pour des raisons évidentes de risques industriels. Le nouveau site couvrira 300 hectares et les travaux de réalisation devraient débuter avant la fin du premier trimestre de 2006. Une première tranche financière de 50 milliards de dinars (65 millions de dollars) est allouée au projet.
Outre ce programme complémentaire, le Grand Sud devrait bénéficier de deux autres types d’investissements : des projets régionaux entrant dans le cadre du Nepad, notamment le gazoduc Arzew-Lagos, la route transsaharienne et la liaison en fibre optique entre le Nigeria et l’Algérie, d’une part, et, d’autre part, des projets énergétiques de grande envergure, à l’instar de la gigantesque centrale électrique d’Adrar (2 000 mégawatts) destinée à l’exportation d’électricité vers l’Espagne et le sud de l’Europe.
Ironie du sort : l’annonce de ce programme de développement complémentaire a coïncidé avec la disparition de l’Amenokal (« chef » en tamachek, langue touarègue) Akhamoukh, quelques jours avant le retour, le 31 décembre 2005, de Bouteflika de sa convalescence parisienne. Cette grande figure locale, inamovible représentant des populations du Sud dans les institutions de la République depuis l’indépendance, aurait certainement apprécié cet ambitieux programme de développement de l’immense région qu’il incarnait.

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