Ahmadinejad, l’épouvantail
Son radicalisme et son imprévisibilité inquiètent les Occidentaux, les sunnites, et jusqu’à l’establishment de la République islamique.
Lorsqu’il a remporté l’élection présidentielle iranienne, au mois de juin dernier, Mahmoud Ahmadinejad était un illustre inconnu à l’étranger. Même dans son pays, il avait des allures d’outsider. Cinq mois plus tard, cet homme austère de 49 ans est devenu un véritable épouvantail. La seule évocation de son nom suffit à donner des boutons à la chancelière allemande Angela Merkel, scandalisée par son appel « à rayer Israël de la carte » et à « déménager l’État hébreu en Europe ». Des provocations verbales d’autant plus inquiétantes qu’elles coïncident avec la décision de l’Iran – critiquée de toutes parts – de reprendre son programme d’enrichissement de l’uranium.
À Téhéran, fonctionnaires et hommes politiques affirment que le président n’a la haute main ni sur le nucléaire ni sur la politique de sécurité. Et que ce poste n’a été créé que pour chapeauter l’administration, les grandes décisions étant prises par une direction collégiale dirigée par l’ayatollah Ali Khamenei, le Guide de la République islamique. Pourtant, ne leur en déplaise, l’arrivée d’Ahmadinejad est bien le signe d’une radicalisation du régime. Naguère très impliqués dans la définition de la politique nucléaire, mais électoralement défaits, les réformateurs et les conservateurs pragmatiques emmenés par l’ancien président Ali Akbar Hachemi Rafsandjani ont vu leur influence se réduire comme peau de chagrin. Au moment où les gouvernements européens font monter la pression diplomatique en portant la question iranienne devant le Conseil de sécurité de l’ONU, beaucoup redoutent que les foucades du nouveau président n’accentuent les risques de dérapage et ne précipitent la République islamique dans une confrontation avec l’Occident.
Pourtant, la victoire de celui qui aime à se présenter comme un « humble fils de la révolution » ne s’est pas jouée sur la politique étrangère, mais sur sa réputation d’honnêteté et de piété. Soutenu par les radicaux, Ahmadinejad a bénéficié du discrédit des réformateurs, impuissants à tenir leurs promesses de libéralisation politique et coupables, aux yeux d’une majorité d’Iraniens, d’avoir négligé la lutte contre le chômage, l’inflation et la corruption.
Modeste, travailleur et attaché à sa famille, ce fils de forgeron se déplace au volant d’une vieille Paykan, la voiture nationale, improbable croisement entre la Skoda tchèque et la Trabant est-allemande de l’époque communiste « Lorsque nous nous battions, il nous séparait et nous recommandait plutôt de prier », explique l’un de ses anciens camarades de classe, qui garde le souvenir d’un élève calme et studieux. Lors de ses deux années à la tête de la mairie de Téhéran, il ne s’est accordé aucun congé. Devant les caméras de télévision, il s’est armé d’un balai pour nettoyer les rues jonchées d’immondices. Intègre et incorruptible, il a su séduire une population paupérisée et scandalisée par le train de vie ostentatoire de la nomenklatura enturbannée. En promettant par exemple de mettre l’argent du pétrole sur le sofreh, le tapis sur lequel les Iraniens traditionalistes s’assoient pour déjeuner.
Tout au long de sa campagne, il a prôné un retour aux idéaux égalitaires de la Révolution islamique de 1979. Lui-même ancien combattant volontaire de la milice des Bassij pendant la guerre contre l’Irak (1980-1988), il a exalté le sens du sacrifice des martyrs et les valeurs de la camaraderie. Foncièrement religieux, voire bigot, il lui arrive de sombrer dans le mysticisme. Aux Nations unies, il a ainsi évoqué le retour sur terre imminent du douzième imam, l’imam caché du chiisme duodécimain, provoquant la consternation dans les rangs des représentants arabes, majoritairement sunnites. La mise en ligne, sur Internet, d’une vidéo du président affirmant à un ayatollah de la ville sacrée de Qom qu’il avait, lors de son discours onusien, vu une « lumière verte » a provoqué la réprobation des élites religieuses et politiques du pays.
Car son ascension rapide n’est pas forcément vue d’un bon il par l’establishment politico-religieux. Le président a d’ailleurs rencontré de sérieux problèmes avec le Parlement, qui a recalé ses trois candidats au poste de ministre du Pétrole. Pour Khamenei, qui a le titre de chef de l’État, Ahmadinejad est presque une bénédiction. À bien des égards, il est en effet sa créature : son élection marque le triomphe des forces les plus conservatrices. Mais son radicalisme et son caractère imprévisible le rendent potentiellement dangereux.
La perspective d’une crise internationale n’effraie pas Ahmadinejad, fervent croyant formé à l’école des tranchées – à l’époque où les ennemis de l’Iran étaient soutenus par les États-Unis, la Russie et tous les pays arabes sauf la Syrie. Adepte de l’ayatollah Mohammad Taqi Mesbah-Yazdi, il prêche l’isolement culturel vis-à-vis de l’Occident, afin de sauvegarder la pureté de l’islam iranien. Pour l’instant, force est de constater que sa popularité ne faiblit pas, notamment au sein des couches populaires. Mais l’homme commence à inquiéter. Le mois dernier, l’ancien président Mohamed Khatami a mis l’Iran en garde contre toute interprétation fanatique de l’islam. Allusion à peine voilée aux outrances verbales de son successeur
Les sanctions américaines en vigueur depuis vingt-six ans ont conduit Téhéran à diversifier ses sources d’approvisionnement et à renforcer son autosuffisance. Aux dires d’un dirigeant iranien, Ahmadinejad aurait, au mois de septembre, déclaré devant les hauts responsables du régime ne pas craindre une éventuelle aggravation des sanctions internationales. Avec un baril à plus de 60 dollars, les dirigeants iraniens doutent que l’Occident prenne le risque de bloquer les exportations du quatrième producteur d’or noir de la planète. Le camp des réformateurs, en revanche, redoute qu’une confrontation avec l’Occident ne renforce le fondamentalisme. Et que la belligérance et l’isolement ne fassent, à court terme, pencher la balance du côté d’Ahmadinejad. Ce qui serait lourd de conséquences pour l’Iran, le Moyen-Orient et le monde musulman en général
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