Rêves de papier glacé

Une sélection d’albums de photographies, pour s’évader, se cultiver, s’instruire. Direction : le Sud. Plaisir des yeux garanti.

Publié le 22 décembre 2003 Lecture : 5 minutes.

Comme chaque année, le mois de décembre voit les librairies revêtir leurs plus beaux atours pour séduire le chaland. Et pendant le froid hiver européen, les livres sur le Sud sont un bon moyen pour s’offrir un concentré d’évasion – et de chaleur – à relativement peu de frais. Certes, le meilleur côtoie le pire, et l’exotisme facile fait toujours recette. Mais parmi tous les ouvrages qui paraissent, impossible de ne pas trouver son compte ; il y en a pour tous les goûts. La preuve !

Le Paris arabe Deux siècles de présence
des Orientaux et des Maghrébins
Ouvrage collectif, éditions La Découverte, Paris,
248 pages, 39,90 euros

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Depuis plus de deux cents ans, Paris est une ville arabe. Point de rencontre entre les cultures du Maghreb et du Moyen-Orient, elle est aussi une destination pour les populations d’immigrants venus d’Afrique du Nord. Lieu de rencontre des opposants et des diplomates, elle est au coeur des relations politiques qu’entretiennent l’Europe et le monde arabo-musulman, au sens le plus large.
En l’espace de deux siècles, la cité a vécu les fastes de la visite d’Abd el-Kader en 1867. Mais aussi l’implacable répression dont furent l’objet les sympathisants du FLN le 17 octobre 1961. De la rue de Rennes, victime de la fureur islamiste en 1986, à l’avenue des Champs-Élysées, sur laquelle la génération Zidane vint acclamer ses héros du ballon rond par une chaude journée de juillet 1998, la capitale française ne peut nier son arabité. Venus du bled pour combattre sur le chemin des Dames, puis pour travailler à la chaîne chez Renault, ces « indigènes » devenus immigrés ont été, pour certains, naturalisés. De Barbès à Belleville, ils se sont installés dans l’Est parisien, donnant naissance à une deuxième puis à une troisième génération, qui poursuit encore aujourd’hui sa quête identitaire. L’identité arabe, elle, est pourtant à chaque coin de rue et à chaque page de ce Paris arabe. Ce livre abondamment illustré a été réalisé avec le concours du Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations (Fasild).

Les Toubou
De Catherine Baroin, éditions Vents de Sable,
178 pages, 32 euros

Le territoire des Toubou – pour la plupart de nationalité tchadienne – s’étend sur près d’un quart du Sahara (1 300 000 km2), à cheval sur le Tchad, le Niger, le Soudan et la Libye. À la différence des « hommes bleus » du désert qui ont inspiré tant de livres, les Toubou sont peu connus du grand public. Pis, ces « rebelles du Tchad » souffrent de préjugés tenaces : ils seraient « pillards sans scrupules, querelleurs, orgueilleux et susceptibles à l’extrême ». Catherine Baroin, ethnologue et chercheur au CNRS depuis 1977, se propose de faire mieux connaître ceux dont le nom signifie « habitants du Tibesti ». Aussi aborde-t-elle l’histoire de ce peuple, son organisation sociale, ses rites ; puis se pose la question de son avenir. Illustré de quelques belles photos, le texte est riche en informations et agréable à lire.

La Magie de la mer rouge Coraux et déserts De Gianni Guadalupi et Giorgio Mesturini, éditions Nathan, 244 pages, 32 euros

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Étrange voyage que celui auquel nous invitent Gianni Guadalupi et Giorgio Mesturini ! Il s’agit ni plus ni moins d’explorer la mer Rouge de fond en comble. Et la promenade réserve des surprises. Car, si tout le monde connaît – merci Jacques-Yves Cousteau – les superbes poissons et coraux qui habillent de couleur des paysages sous-marins à couper le souffle, on oublie souvent de mentionner le nom des pays que borde la Mare rubru. À savoir le Soudan, le Yémen, l’Érythrée, l’Arabie saoudite, la Jordanie, l’Égypte et Israël. Autant de nations à l’histoire riche, complexe et parfois meurtrière. Ainsi, l’itinéraire entre le golfe d’Aqaba et l’archipel des Dahlak, entre Djeddah et Port-Soudan, permet-il de prendre conscience de toute la complexité d’une région qui ne saurait se réduire à la polychromie aquatique de ses eaux. Quoique, à bien y regarder, la lutte cruelle qui oppose les habitants de la barrière de corail peut avoir une signification métaphorique. Les épaves rongées par la rouille sont là pour témoigner de la folie des hommes…

Il était une fois Bollywood
De Jonathan Torgovnik, éditions Phaidon,
126 pages, 40 euros

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La couverture kitsch s’imposait pour cette plongée dans le monde fascinant du cinéma indien. Depuis 1913, les films commerciaux produits en hindi et urdu à Mumbai (ex-Bombay) façonnent l’imaginaire collectif de l’Inde. « Construits en général autour de six chansons et au moins deux somptueux passages dansés, écrit en introduction Nasreen Munni Kabeer, ces films ont pour thèmes l’amour fou, les conflits entre père et fils, la vengeance, la rédemption, la lutte pour survivre malgré les difficultés, la place de l’honneur et de la dignité et le respect des valeurs religieuses et morales »… Hollywood n’est pas si loin, en réalité. Les clichés de Jonathan Torgovnik, ancien photographe de guerre de l’armée israélienne, explorent l’ensemble de l’univers cinématographique indien, les salles comme les tentes des cinémas itinérants, les tournages comme les cabines de projection. Une vision personnelle remarquable, une mise en pages sobre et équilibrée, une impression parfaite font de cet album l’un des meilleurs de l’année.

Images sauvées du vent
De Jean-Marc Durou, éditions Vents de Sable,
160 pages, 49 euros

Trente ans déjà que le photographe Jean-Marc Durou sillonne le Sahara. Cette année, c’est aux éditions Vents de Sable qu’il a confié ses clichés. Sur plus de 150 pages, il égrène les multiples visages d’un désert changeant, toujours imprévisible. En dépit d’une mise en pages maladroite et de la qualité parfois contestable de la reproduction des photographies, Images sauvées du vent dit toute la dureté de « ce monde du sable, [dans lequel] il faut s’enfoncer profondément pour en mesurer la grandeur et la perfidie […]. On descend là-dedans comme dans de la vase. C’est aussi déprimant qu’un enlisement. Mais dès qu’on parvient au ras du ciel, l’univers paraît rose, jaune et blanc, sans une tache verte. Pays qui ne ressemble à rien d’autre ».

Souks
De Claudie Baran et Erick Bonnier, Flammarion,
180 pages,
45 euros

Il n’y a pas de doute : les souks se prêtent particulièrement à la photographie. Tissus, épices, pâtisseries, verres, bijoux, fruits et légumes, chaussures et instruments de cuisine jalonnent un parcours chatoyant où lumières et ombres jouent à cache-cache. Le livre de Claudie Baran et Erick Bonnier nous entraîne le long d’un chemin balisé dans les souks de Marrakech, Tlemcen, Tripoli, Damas, Bagdad, etc. Une promenade érudite, des photos inégales, peu de surprises, mais toujours l’envie de se laisser porter au hasard de ces labyrinthes d’objets et de regards, de senteurs et d’infinis marchandages. Parce que, avant tout, cet album est un hommage à ceux qui font vivre les souks comme à ceux que les souks font vivre : des hommes et des femmes ordinaires.

Mali
De Jean-Baptiste Huynh, éditions Marwan Hoss,
118 pages, 42 euros

« Épurée », c’est le mot qui vient à l’esprit pour caractériser cette série de portraits – car même pour les objets, les mains ou les animaux, le terme s’impose. Les photographies de Jean-Baptiste Huynh, au grain fin et aux gris délicats (on notera le beau travail d’édition et, surtout, d’impression), se veulent intemporelles et détachées de tout décor. Demeurent une impression de mise en scène et un esthétisme latent qui contraignent hommes et femmes à se glisser dans un marbre de statue. Et si les regards sont mis en valeur par ce choix, l’ensemble reste un tantinet prétentieux.

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