Quand charité et business font bon ménage

Publié le 23 décembre 2003 Lecture : 4 minutes.

Vingt-cinq milliards de dollars ? Le coût du programme spatial Appollo, le prix de 125 Airbus A380, ou encore, approximativement, le budget annuel français de la défense. Mais c’est aussi la somme que Bill Gates a décidé de consacrer à sa fondation. Soit la moitié
de son capital. À la disparition du couple, toute cette fortune, excepté un pécule de 10 millions de dollars mis de côté pour chacun des enfants, ira dans les caisses de la
Fondation Bill et Melinda Gates. Créée en 2000, elle est le fruit de la fusion de deux entités : la fondation Gates pour le savoir, qui avait pour but d’améliorer l’accès à la technologie via les bibliothèques publiques, et la fondation William Gates Sr, dont l’action était centrée sur l’amélioration de la santé dans le monde. Cette nouvelle structure a donné à l’homme le plus riche de la planète une autre casquette : celle de l’homme le plus généreux de la planète.
Selon le couple, le but de la fondation n’est pas « de réinventer la roue, mais de la faire tourner ». Pas de révolution donc, juste l’envie de participer au fonctionnement du
monde, et, pour y parvenir, rien de mieux que l’éducation et la santé. Les Gates ont donc choisi de donner leur argent à des projets concernant ces deux thèmes et touchant des populations en difficulté. Parmi les plus pauvres, essentiellement dans les Pays en développement (PED), mais aussi dans les banlieues « ghettos » des pays riches. De fait, en matière médicale, les secteurs privilégiés sont les maladies infectieuses, le sida et le paludisme. Bill Gates a d’ailleurs, lors de sa tournée en Afrique australe en septembre dernier, signé un chèque de 168 millions de dollars pour la lutte contre le paludisme au Mozambique. Sur le plan éducatif, la fondation privilégie l’aide à la création d’universités à « taille humaine » et la prise en charge des frais de scolarité aux États-Unis.
Comment cet homme a-t-il un jour décidé de consacrer son argent aux plus pauvres ? On pourrait dire qu’étant américain il était un peu prédestiné. En effet, aux États-Unis, le don fait partie de la culture : 69 % des foyers offrent chacun 1 600 dollars annuels en moyenne. Les donations privées, d’individus ou de fondations, représentent 2,1 % du Produit national brut (PNB) du pays, alors que l’aide au développement du gouvernement n’atteint pas 1 % du PNB. Mais, dans leur grande majorité, les causes financées sont
locales, voire occidentales. L’intérêt des Gates pour les Pays en développement serait lié à un safari tout ce qu’il y a de plus touristique, en 1993, au Kenya. Melinda a été « bouleversée par la misère », qui « l’a changée à jamais ».
Autre élément moteur, elle s’est aperçue, comme elle en a témoigné au quotidien américain USA Today, dans l’une des rares interviews qu’elle a accepté de donner, que lorsque le crash d’un avion faisait la une des journaux, au même moment, cinquante fois plus d’enfants mouraient de maladies que l’on sait soigner, sans que personne n’en parle.
Cette genèse de la fondation, sous des aspects légendaires, a en tout cas le mérite de produire des résultats : en 2002, le couple a accordé 507 millions de dollars à des programmes sanitaires, et 413 millions à des projets éducatifs. Globalement, la santé représente 43 % du total de ses dons, l’éducation 35 %, le reste allant à différents programmes sociaux. En 2003, c’est d’ailleurs le programme « santé publique mondiale » qui a bénéficié du plus gros chèque : 200 millions de dollars. Cette manne devra permettre de financer des recherches pour élaborer vaccins et traitements contre les
maladies sévissant dans les PED. En effet, à l’échelle mondiale, les pathologies causant 90 % des décès ne reçoivent que 10 % des crédits de recherche.
Une équipe de chercheurs dirigée par Harold Valmus, ancien directeur des fameux National Institutes of Health américains, a été chargée de déterminer quelles maladies devraient
bénéficier de cet argent. Le 16 octobre dernier, une liste de quatorze « défis » a été remise à Bill Gates, et publiée simultanément dans l’hebdomadaire Science. Sans surprise, ce sont des domaines habituellement financés par la fondation qui ont été désignés. Ils
s’articulent autour de sept thèmes : l’amélioration des vaccins infantiles et la création de nouveaux vaccins, le contrôle des vecteurs de maladies, les traitements des maladies
infectieuses, celui des infections chroniques, la nutrition et, enfin, l’élaboration d’un état des lieux précis de la santé publique dans les PED. Bill Gates, comme toujours,
validera ces choix, malgré la qualité de l’équipe scientifique.
Car le fondateur de Microsoft ne donne jamais son argent à la légère. Et la fondation présente une gestion proche de celle d’une entreprise, au sein de laquelle il s’est
entouré de personnes expérimentées. Ainsi les présidents de la Fondation sont William Gates Senior, son père, et Patty Stonesifer, qui a développé la branche multimédia de
Microsoft. Bill, lui, signe chaque chèque de don, étudie les rapports sur le développement, les comptes-rendus de recherche, particulièrement en immunologie, et s’informe sur les dons potentiels. Ceux-ci ne seront effectués que si leur usage se fonde sur des objectifs concrets et s’appuient sur des performances réalistes. D’ailleurs, il est intéressant de constater que Bill Gates n’a financé de programmes gouvernementaux que
dans des États où la corruption n’est pas une pratique établie. Le reste du temps, ce sont plutôt des organisations internationales qui sont financées. Ainsi, la fondation
a contribué à tout ou partie de programmes mis en uvre par des agences intergouvernementales comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ou l’Unicef. Gates a, par exemple, donné, en 2001, 750 millions de dollars à l’Alliance mondiale pour la vaccination et l’immunisation (Gavi), qui regroupe institutions internationales,
entreprises et donateurs privés, en vue d’élargir l’accès aux vaccinations dans les pays en développement.
Depuis sa création, la fondation a déboursé 3 milliards de dollars. Une broutille, comparée au budget total disponible. Même si, comme certains de ses détracteurs le disent, Gates agit là pour redorer son blason d’impitoyable homme d’affaires, il a au
moins le mérite de le faire intelligemment, et avec des résultats.

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