À l’écoute du passé

Une compilation des archives de Radio France Internationale retrace quarante années d’histoire africaine. Utile et passionnant.

Publié le 22 décembre 2003 Lecture : 3 minutes.

Avec près de neuf heures d’enregistrements, les sept cédéroms audio d’Afrique, une histoire sonore constituent un recueil de témoignages unique. Le projet est né d’une rencontre entre deux passionnés de l’Afrique, Philippe Sainteny, journaliste et rédacteur en chef à Radio France Internationale (RFI), et Elikia M’Bokolo, historien et directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, bien connu des auditeurs africains grâce à la série Mémoire d’un continent, produite par RFI et diffusée par de nombreuses stations. L’ex-président de la République du Mali, Alpha Oumar Konaré leur avait adressé une vibrante mise en garde : « Si l’Afrique perd sa mémoire sonore, elle perd sa mémoire tout court. » Une équipe d’une trentaine de personnes a été mobilisée pendant trois ans pour rendre accessibles au public les archives sonores de RFI, conservées par l’Institut national de l’audiovisuel (INA). Récompensé par le Comité d’histoire de la radiodiffusion, ce coffret réussit la prouesse de retracer quarante années de l’histoire politique de l’Afrique francophone, de 1960 à 2000.
Présentées par Philippe Sainteny et Elikia M’Bokolo, ces archives restaurées représentent souvent les seuls documents disponibles sur la période de la décolonisation et des indépendances. La télévision était balbutiante, et les journaux des années 1950 et 1960 ont presque tous disparu. Sur le continent africain en particulier, mais aussi pour tous ceux qui s’intéressent à l’Afrique, journalistes, chercheurs ou étudiants, cet outil de travail est déjà incontournable. Les cinq premiers cédéroms du coffret se suivent chronologiquement : indépendance, avènement des partis uniques, route vers la démocratie. Les deux derniers proposent une lecture transversale, sur l’unité africaine et les relations franco-africaines. Concernant ce thème, tout en abordant des sujets qui peuvent irriter – Jacques Foccart, l’affaire Elf ou la politique de non-intervention de Lionel Jospin -, les auteurs ont réussi à rester lucides sans tomber dans la provocation.
« Ce coffret montre qu’avec ses hauts et ses bas l’histoire récente de l’Afrique nous conduit quelque part, s’enthousiasme Elikia M’Bokolo. Cela tranche avec l’image qu’en Afrique c’est toujours pareil, avec les mêmes événements qui se répètent, et les mêmes gens que l’on voit. Les documents sonores mettent en évidence le dynamisme de la politique en Afrique, avec de vrais moments historiques, des côtés drôles côtoyant des aspects plus tragiques. »
Il est vrai qu’avec 275 enregistrements tous les grands acteurs politiques de l’Afrique sont présents, et nombre de ces redécouvertes sont exceptionnelles. Elikia M’Bokolo ajoute : « Dans une Afrique jeune, où deux Africains sur trois n’ont pas 30 ans, les voix des hommes qui ont forgé leur histoire, comme Sékou Touré, Ahidjo ou Lumumba, ne sont pas connues. C’est important que la jeune génération entende des voix venues du fin fond de leur histoire. » On découvre ainsi le discours de Sékou Touré, en 1983, sur la « classe peuple » et ses ennemis, qui anticipe de terribles événements. Ou bien l’échange téléphonique de 1994, en direct, avec Agathe Uwilingyamane, Premier ministre rwandais, qui entend des gens arriver et frapper à sa porte… La communication est coupée : elle est assassinée.
« Il existe des archives plus « légères », explique Philippe Sainteny, comme ces paroles chantées par un groupe, les Cols bleus, à la gloire de Lumumba, sur un rythme très étonnant. C’est excellent. Il y a aussi à Addis-Abeba, en 1963, la création de l’Organisation de l’unité africaine (OUA). Le président malgache Philibert Tsiranana présente à cette occasion sa vision extraordinairement pragmatique de l’unité africaine. Alors que les autres orateurs se sont lancés dans de grands discours universalistes, hugoliens, Tsiranana déclare qu’il faut commencer par avoir des téléphones en commun et faire des routes ensemble. C’est très moderne et toujours d’actualité. »
Outil de travail et de découverte, ce coffret a reçu un accueil très favorable, malgré son prix de presque 80 euros. Un nouveau coffret, qui présenterait le volet culturel et social de l’histoire de l’Afrique, est déjà en préparation.

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