La saga « Playboy »

Un des titres phares de la révolution sexuelle vient de fêter ses cinquante ans.

Publié le 22 décembre 2003 Lecture : 7 minutes.

« La vie serait plus difficile sans Viagra. Il élimine la frontière entre espérances et réalité, et permet un niveau de plaisir qui sans cela serait seulement du domaine du rêve », déclarait Hugh Hefner au moment où la pilule de la performance faisait son apparition. Lifté, bronzé, le sémillant fondateur de Playboy, qui avoue avoir séduit plus de mille femmes, mène aujourd’hui une vie trépidante. Le 17 décembre dernier, le magazine fêtait en effet ses 50 ans en mettant en vente plus de trois cents de ses archives chez Christie’s à New York. Ces documents, des portraits et des courriers de célébrités pour la plupart, retracent l’incroyable saga de la mythique revue de Hugh Hefner. Ce fils de méthodistes rigides avoue avoir créé Playboy pour se départir d’une éducation trop puritaine et échapper à la vie terne et rangée qui l’attendait. Aujourd’hui, alors qu’il vient de fêter ses 77 ans, Hefner se considère comme l’un des piliers de la révolution sexuelle des années 1960 et 1970. Son magazine, en exploitant un savant mélange de photos sexy, de reportages, d’articles provocateurs et d’interviews de personnalités, contribua d’une certaine façon à l’évolution de la culture populaire de ces cinquante dernières années.
Après dix ans d’une existence rangée auprès de Kimberley Conrad, une ex-playmate, et un divorce prononcé en 1998, le roi de la fête et du sexe a retrouvé toute sa fougue. Comme pour éloigner à jamais les fantômes de la vie conjugale, Hefner, dès son divorce prononcé, partageait son célèbre lit circulaire avec Mandy et Sandy Bentley, deux jumelles de 23 ans identiques jusque dans leurs courbes. Mais aujourd’hui, ce sont sept jeunes femmes blondes de 18 à 28 ans qui se disputent ses faveurs. « Je suis l’homme le plus chanceux de la planète », aime à dire le fondateur du mensuel aux 513 playmates en trônant au milieu d’elles. Un bonheur auquel le petit coup de pouce du Viagra ne doit pas être étranger.
C’est en Californie, à Playboy Mansion, un immense manoir de trente pièces de style Tudor construit en 1927, que Hefner règne sur son harem. Moitié monarque, moitié pacha, il vit entouré d’une cour composée d’amis, de membres de sa famille, d’associés et de fans qui l’applaudissent lorsqu’il apparaît en haut du double escalier de son hall de marbre, vêtu d’une veste d’intérieur rouge sur un pyjama de soie noire. C’est une des marques de fabrique de l’homme : son lit est son lieu de travail. Malgré la tribu qui l’entoure en permanence, Hefner, qui reste un solitaire dans l’âme, ne déroge pas à une règle : prendre son unique repas de la journée, après minuit, seul. Dans cette forteresse d’où il ne sort presque jamais, la semaine du fondateur de Playboy suit un rituel plus immuable qu’une messe. Un staff de soixante-dix personnes en assure le roulement. Le lundi est réservé à sa bande de copains, le mardi et le jeudi sont consacrés à son ex-femme Kimberley et à leurs deux enfants – Marston, 13 ans, et Cooper, 11 ans -, qui vivent avec leur mère dans une immense villa tout près de Playboy Mansion. Le reste de la semaine, Hefner regarde des films ou joue aux cartes en compagnie de ses sept maîtresses. Un train de vie raisonnable en apparence, mais qui lui coûte tout de même la bagatelle de 4,2 millions de dollars par an.
Il a cependant recommencé à donner les fameuses fêtes qu’il organisait dans les années 1960. Désormais, le Tout-Hollywood se presse aux soirées du Casanova septuagénaire où l’on croise Cameron Diaz ou Leonardo DiCaprio. « Tant de jeunes mâles, ou femelles, attendaient que je sorte à nouveau ! Beaucoup de ces nouvelles stars ont le sentiment d’avoir manqué la fête », analyse-t-il sans modestie. Avant de poursuivre : « J’avais le même sentiment, en grandissant après la Grande Dépression, alors que je regardais les images des folles années 1920. » Parmi les habitués du Playboy Mansion, sa fille Christie, 50 ans, issue de son premier mariage. C’est elle qui dirige aujourd’hui l’empire, dont les ramifications ne cessent de s’étendre. Car le lapin, emblème du groupe, s’accommode volontiers à d’autres sauces. Si la pierre angulaire du groupe Playboy Enterprises Inc. reste le magazine, la société s’est diversifiée : chaînes de télévision, productions de séries, vidéos, lingerie sexy, site Internet, produits dérivés, qui rapportent en tout 300 milliards de dollars de merchandising par an.
Christie a pris les rênes de l’empire à la fin des années 1980, après l’attaque cardiaque dont Hefner fut victime. « J’ai l’impression d’avoir toujours lu Playboy, ma mère le laissait traîner. Mes parents étaient très à l’aise avec la nudité », affirme celle qui a reçu une éducation à l’opposé de celle de son père. Hefner a en effet grandi au sein d’une famille méthodiste ultrapuritaine. « Mes parents nous imposaient une éthique protestante fondamentaliste rigide », reconnaît celui qui, en lançant Playboy, allait imposer les principes d’un nouveau mode de vie en remettant en question les valeurs traditionnelles de l’époque.
Tout a commencé à Chicago en décembre 1953. Hugh Hefner, alors âgé de 27 ans, démissionne du magazine Esquire, où il rédigeait les mailings d’abonnement, parce que le patron lui refuse une augmentation de 5 dollars. De toute manière, le jeune homme a en tête une publication d’un genre nouveau. « Je voulais un magazine qui soit sans culpabilité à l’égard du sexe et aussi des bénéfices du matérialisme ; un magazine qui mette un peu de plaisir dans la vie. J’ai commencé Playboy comme une croisade. Ce magazine me paraissait être la meilleure façon de réaliser un rêve que j’avais depuis l’adolescence : avoir beaucoup de femmes », précise-t-il. Grâce à une vieille machine à écrire et un emprunt dérisoire de 600 dollars, il crée Playboy.
Le premier numéro tiré à 50 000 exemplaires affiche en couverture Marilyn Monroe nue. Tous les numéros sont vendus. Hefner ne se doutait pourtant pas, en lançant son magazine dans cette Amérique de censure et de répression du début des années 1950, que celui-ci aurait un tel impact auprès du public. « Playboy, analyse-t-il aujourd’hui, a apporté de la fraîcheur d’esprit dans un monde alors trop corseté. S’il n’avait pas touché d’emblée un point sensible, il n’aurait pas survécu. » En effet, pour la puritaine Amérique, le sexe était forcément en dehors des limites de ce qui était acceptable pour la société. « J’ai essayé de créer un magazine et un mode de vie dans lesquels le sexe représente un aspect naturel, normal de la vie », affirmait Hefner à l’époque. Cette idée séduit en tout cas puisque les ventes ne cessent de se multiplier. Ce succès annonce les prémices d’une époque nouvelle, après celle terrible des années précédentes où le maccarthysme avait fait régner peur et suspicion dans le pays. S’amuser n’est plus une culpabilité, mais fait désormais partie d’un mode de vie que Playboy a contribué à créer en bousculant les tabous et en enlevant au sexe sa dimension de péché quand il est pratiqué hors mariage. Hugh Hefner fait construire une villa de soixante-dix pièces. Il y organise des soirées gigantesques où les célébrités viennent s’encanailler. Au début des années 1970, le mensuel atteint son apogée avec 7 millions d’exemplaires mensuels. À cette même époque, Hefner, qui pèse 175 millions de dollars, devient l’un des self-made men les plus riches des États-Unis.
C’est à partir de 1986 que les choses se gâtent. Le géant, déjà confronté à la dangereuse concurrence des magazines porno Hustler et Penthouse alléchés par les énormes sommes que représente l’industrie du sexe, souffre aussi du développement de la vidéo porno. Pis, il est victime du reaganisme. Une commission gouvernementale antipornographie incite les marchands de journaux à boycotter le titre. Le groupe accuse 62 millions de dollars de pertes. Il faudra la poigne de fer de Christie Hefner pour redresser l’empire et le remettre à flots. Aujourd’hui, le féminisme et le sida ont fait baisser les tirages faramineux des deux dernières décennies. Les ventes tournent autour de 3 millions d’exemplaires par mois en 2003. Le succès de magazines comme FHM ou Maxim, qui ont émergé il y a quelques années, y est aussi pour beaucoup. Les goûts ont évolué et les lecteurs d’aujourd’hui préfèrent à la sexualité explicite d’antan un contenu offrant davantage d’actualité people. Mais Playboy n’a pas dit son dernier mot. À l’occasion de son cinquantième anniversaire, la revue pourrait bien s’offrir un lifting pour être plus à la page et conquérir la frange des lecteurs de 20 à 30 ans. D’ailleurs, James Kaminsky, l’ancien rédacteur en chef de Maxim, est au gouvernail du mythique magazine depuis l’année dernière, signe que les temps changent. Un changement auquel Hefner compte bien assister. « Ma mère a vécu jusqu’à 101 ans et avait encore beaucoup de vitalité quand elle est partie… », se plaît-il à dire en espérant vivre centenaire. En attendant, il s’est acheté une concession dans le cimetière de Westwood Memorial pour être enterré aux côtés de Marilyn Monroe, première playmate de Playboy. Une façon de tourner la page avec panache.

Playboy. 50 ans de photographies, de Jim Peterson, EpA, 239 pp., 45,50 euros.

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