Du bon usage de la caféine

Thé et café sont consommés aux quatre coins du monde. Pourtant, ils sont parfois considérés comme néfastes pour l’organisme. À tort ou à raison ?

Publié le 22 décembre 2003 Lecture : 10 minutes.

Thé et café sont consommés par plus de 80 % des humains. Leur valeur commerciale les placent en deuxième position mondiale, juste après le pétrole. C’est donc un immense business dont, hélas ! les paysans producteurs n’obtiennent qu’une part infime. Un succès dû au goût de ces boissons et à leurs effets stimulants.
« Cadeau des dieux ou boisson du diable » ? Les avis ont longtemps été partagés. L’action du thé et du café sur l’organisme tient en fait à leur teneur en méthylxanthines et en antioxydants et peut-être à des dizaines d’autres composants, encore mal connus.

L’histoire. Les origines des deux breuvages, en Chine pour le thé et en Éthiopie pour le café, ont donné lieu à des interprétations légendaires et savoureuses.
Près de 3 000 ans avant J.-C., Shen Nung, empereur mythique de Chine, était assis sous un arbre où il faisait bouillir de l’eau sur un feu de bois. Une brise providentielle a alors fait tomber quelques feuilles de l’arbre dans le pot. L’empereur a bu cette infusion et en a ressenti les effets stimulants. Le thé était découvert.
En Éthiopie, un berger faisait paître ses brebis. Il s’est aperçu que celles-ci s’agitaient et dansaient après avoir ingéré les baies d’un arbuste local. Il a alors prévenu un saint homme qui vivait dans une communauté. Lequel en a donné à ses frères pour les empêcher de dormir pendant les prières nocturnes. Le café était né.
Belles légendes pour des boissons devenues mythiques et dont la consommation va s’étendre, bien souvent grâce aux religieux.
Ainsi porté par l’extension du bouddhisme, le thé étendra sa zone d’influence en Asie. To Lao Tan met notamment à l’honneur la coutume de servir du thé à ses hôtes vers 500 avant J.-C. Plus tard, aux VIIe et VIIIe siècles, le thé est devenu très populaire ; la dynastie Tang en profite pour établir sur le thé un impôt très rentable qui sera maintenu jusqu’en… 1911.
L’extension du café, à partir de l’Afrique de l’Est, a d’abord gagné le Moyen-Orient grâce aux religieux musulmans. Il a atteint Constantinople (où le premier coffee-house a été ouvert en 1555), mais aussi Ispahan, Alep ou encore Bagdad. Certains religieux étaient très favorables à cette boisson stimulante. D’autres voulaient la faire interdire, car la considéraient comme une drogue comparable à l’alcool ou au haschich. Mais l’usage du café a fini par s’imposer.
L’Europe a, à son tour, été envahie. Les commerçants y ont transporté et vendu thé et café. Le trafic est rapidement devenu fructueux. Les premiers bateaux transportant du thé sont arrivés au Nord, d’abord à Amsterdam, puis à Londres. À l’Est, il est entré en Russie, transporté par des caravanes de chameaux venant de Chine. Le café, lui, a débarqué au Sud : à Venise en 1624 et à Marseille en 1650, où a d’ailleurs ouvert le premier « café » , boutique d’un nouveau genre où on consommait le breuvage.
Les lieux où thé et café se sont implantés en Europe ont déterminé leurs « territoires préférentiels ». Ainsi, l’Europe du Nord a été rapidement acquise à la consommation du thé. À l’Est, en Russie, le thé a remporté un très grand succès : chaque famille disposait d’un samovar qui maintenait à bonne température la boisson consommée à longueur de journée.
Venu par la Méditerranée, le café a eu plus de succès dans les pays qui la bordent. Les Turcs ont joué un grand rôle dans son expansion. À paris et à Vienne, les envoyés du sultan Mohamed IV ont transformé leurs maisons en palais orientaux où de nombreux domestiques enturbannés servaient un café très fort entretenant l’animation, la convivialité et la discussion. Pour la première fois, le café a joué un rôle politique, en favorisant de longues négociations nocturnes, comme il le fait encore aujourd’hui.
À la fin du XVIIIe siècle, toute l’Europe consommait du thé, du café ou même les deux.

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Les effets sur l’organisme. Les effets du thé, et surtout du café, sur l’organisme humain ont été décrits avant l’ère scientifique. L’action contre le sommeil était la plus évidente.
De nombreux artistes et écrivains ont apprécié l’action de stimulation intellectuelle qu’ils attribuaient au café. Beethoven, Rossini ou Voltaire travaillaient en consommant chaque jour de nombreuses tasses de café. Balzac était devenu totalement dépendant et absorbait jour et nuit des dizaines de tasses ; de ce comportement, il a découvert l’effet d’accoutumance, à savoir la nécessité d’augmenter les doses pour obtenir un même effet.
D’autres effets positifs ont été attribués au café : sur l’asthme, sur la digestion, sur les états d’obésité et de « congestion ».
Mais des effets négatifs étaient aussi apparus. Ainsi le docteur Nacquart pensait que le café avait aggravé la maladie cardiaque de Balzac. La boisson pouvait entraîner de violentes phases d’excitation avec palpitations, tremblements, regard brillant, vomissements, vertiges et même convulsions. Elle pouvait ainsi être à l’origine de comportements sociaux inacceptables obligeant le sujet à rester chez lui. En outre, ces phases d’excitation pouvaient être suivies de phases de dépression incitant à consommer à nouveau en grande quantité.
Ainsi s’est développée une opposition entre les laudateurs du café et du thé et leurs détracteurs, qui les considéraient comme toxiques. Entre ces deux opinions, certains, comme Moseley, reconnaissaient que thé et café avaient quelques effets fâcheux, mais que ceux-ci étaient beaucoup moins dangereux que les ravages de l’alcool ou de l’opium. Quoi qu’il en soit, le « petit noir » était entré dans les moeurs et avait même créé de nouvelles habitudes sociales.
La découverte de la caféine en 1820 a ouvert l’ère scientifique concernant le café et le thé. La caféine peut en effet être dosée dans le sang et dans les urines. Après une prise de café ou de thé, elle est éliminée, en moyenne, en quatre à six heures. Mais elle persiste plus longtemps chez certains sujets, en particulier chez la femme enceinte et les enfants. Des études très récentes, menées en 2002 et 2003, ont effectivement démontré l’action excitante de la caféine sur le système nerveux. Cependant, certains auteurs, en comparant café et décaféiné, ont noté que la caféine n’est probablement pas le seul intervenant sur le système nerveux. Des dizaines d’autres composants existant dans le café et le thé peuvent avoir des actions propres, encore inconnues.
Mais les études ont précisé l’action sur le sommeil : la caféine retarde l’envie de dormir. Cet effet est variable selon les individus, certains pouvant même subir un effet inverse. On a également découvert que la caféine modifie le cycle du sommeil en diminuant la phase de sommeil profond, le plus réparateur. D’autre part, les médecins français de l’armée de l’air ont observé que la caféine peut compenser le décalage horaire en modifiant les sécrétions hormonales.
L’action sur la réactivité intellectuelle a été confirmée par des tests mentaux, de jeux d’échecs, de rapidité de détection d’éclats lumineux ou de conduite automobile simulée. L’action sur la mémoire n’a pas été démontrée. Celle sur la créativité repose sur l’expérience des écrivains et des musiciens. Elle pourrait résulter d’hallucinations qui nécessitent l’absorption de doses très élevées. En ce sens, thé et café ont été rapprochés de l’opium.
Confirmée également l’action favorable sur les crises d’asthme, action qui doit autant à la théophylline qu’à la caféine. Confirmée aussi l’action (du café plus que du thé) contre la douleur. La caféine potentialise l’aspirine. Sur la migraine, l’effet favorable est dû à la constriction artérielle (par action sur le système nerveux). Par contre, la croyance selon laquelle les maux de dents diminuent lorsqu’on mâche des feuilles de thé n’a pas été avalisée.
Sur l’anxiété et la dépression, il n’a été observé ni effet positif ni effet négatif.
Les études scientifiques ont permis de mieux connaître l’action de la caféine sur le coeur, les artères et la tension artérielle. Il faut distinguer ici le café dont les effets pourraient être fâcheux (à doses moyennes ou fortes), et le thé, dont l’action serait plutôt bénéfique.
À partir de quatre tasses par jour (parfois moins), le café peut entraîner des battements de coeur rapides, irréguliers, voire une arythmie complète. Ou, à l’inverse, des pauses cardiaques. Ces troubles peuvent être sérieux chez des patients fragilisés par une maladie cardiaque antérieure, une hyperthyroïdie ou le tabagisme, voire un état spasmophile.
Plus grave : depuis une dizaine d’années, le café est accusé, en augmentant le taux de cholestérol-LDL (le « mauvais » cholestérol) dans le sang, de favoriser les infarctus du myocarde. Cela semble vérifié uniquement pour le café bouilli.
Le café entraîne une élévation habituellement brève et modérée de la tension artérielle. Cette élévation peut toutefois se prolonger chez les hypertendus.
À l’inverse, la consommation de thé est plutôt associée à une diminution du risque d’infarctus. Ses consommateurs ayant eu un infarctus ont une mortalité réduite comparés aux malades qui n’en buvaient pas. Cette action bénéfique du thé est attribuée aux nombreux antioxydants qu’il contient et qui réduisent le risque de sclérose artérielle et la formation des caillots, à l’origine des infarctus. Il est intéressant de savoir que 85 % des antioxydants d’un sachet de thé sont libérés dans les cinq premières minutes d’infusion.
Sur les capacités de ces boissons à prévenir la maladie de Parkinson, à favoriser ou prévenir la polyarthrite rhumatoïde, à aider à la digestion, les opinions divergent. Concernant les cancers, aucune donnée certaine ne peut être retenue.
Sur certains métabolismes, l’action du thé ou du café peut être défavorable. Le thé noir contient beaucoup d’acide oxalique et doit être interdit chez les personnes ayant des calculs oxaliques. Le thé diminue l’absorption du fer, notamment chez les femmes enceintes. Le café pourrait favoriser l’ostéoporose chez des sujets génétiquement prédisposés.
Chez les fumeurs, on a noté que l’effet du café est atténué. Conséquence pratique : en cas de sevrage tabagique, il faut réduire la consommation de café auquel le sujet devient plus sensible. Mais à hautes doses, l’association café-tabac est potentiellement dangereuse.

Peut-on parler de drogues ? Au sens moderne, on ne parle de drogue que si le produit peut entraîner une intoxication, créer une dépendance et s’accompagner de troubles en cas de sevrage.
Intoxication ? Sûrement. Six à huit tasses de café entraînent des signes d’imprégnation : palpitations, tremblements, soubresauts musculaires, excitation. Au-delà de dix à douze tasses de café quotidiennes (ou deux fois plus de thé), une véritable intoxication se manifeste : le sujet est agité, coléreux, parfois incohérent, les battements cardiaques sont irréguliers, les vomissements fréquents, vertiges, hallucinations, voire convulsions, apparaissent. Cet état peut entraîner la mort à des doses variables selon la susceptibilité des sujets : un enfant a succombé après la prise de 5 g de caféine (équivalant à 40 tasses de café) ; des jeunes personnes ont survécu à la prise de 106 g de caféine pour l’une, à une infusion de 300 g de thé noir pour l’autre.
Syndrome de sevrage ? À l’arrêt brutal d’une consommation abondante, le sujet ressent souvent somnolence, fatigue, maux de tête, irritabilité, nausées et parfois douleurs musculaires. Mais ces signes disparaissent en deux à quatre jours.
Existe-t-il une dépendance au thé et au café ? Non, car le sujet qui en est privé ne les recherche pas de façon compulsive. En raison de ses effets, la caféine est considérée officiellement comme produit dopant pour les athlètes, mais pour atteindre la dose limite, il faut boire plus de dix tasses de café avant l’effort.
La femme, le foetus et le jeune enfant ont avec la caféine quelques problèmes particuliers. Chez certaines femmes, la caféine augmente les troubles précédant les règles, notamment irritabilité et anxiété. Aux femmes souhaitant une grossesse, on conseille de diminuer la consommation de caféine (café, thé, chocolat, cola), bien que son action sur la fertilité ne soit pas démontrée. Chez la femme enceinte, l’action de la caféine est majorée et peut faciliter une carence en fer. Cependant, aucun risque sérieux n’existe, semble-t-il, jusqu’à deux tasses de café filtré ou quatre tasses de thé par jour.

Le foetus est sensible à l’action de la caféine. Après l’absorption par la mère d’une ou deux tasses de café, ses mouvements augmentent et son coeur bat plus vite. On a même observé agitation et trouble du sommeil chez le nouveau-né lorsque, à la naissance, il est privé de la caféine absorbée en excès par sa mère. Mais aucune preuve n’a été apportée d’accouchements prématurés ou de malformations dus à la caféine.
Chez l’enfant et jusqu’à 15-16 ans, la caféine provient plus du cola et du chocolat que du thé ou du café. Il semble que la consommation d’une tasse de café, de deux tasses de thé ou de deux boîtes de cola ait des effets négligeables chez des enfants normaux.
Thé et café ne sont pas dangereux et peuvent être utiles. Partie intégrante de la vie sociale, ils sont source de plaisir, mais aussi prétexte à des rencontres ou support de longues discussions. Et ont donc toutes chances de rester un énorme business. Avec des gagnants : les commerçants, les États et quelquefois les boursiers. Et des perdants : les paysans, auxquels ne revient que le minimum pour survivre.

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