Destination Bahia

Les Portugais ont été les premiers pourvoyeurs de main-d’oeuvre pour les plantations de canne à sucre.

Publié le 17 décembre 2003 Lecture : 3 minutes.

A l’aube du 8 août 1444, une caravelle débarque à Lagos, au sud-ouest de la province de l’Algarve, au Portugal, un chargement de 235 esclaves. « Ces gens, écrit le chroniqueur du royaume Gomes Eanes de Zurara, offraient un spectacle étonnant à voir, car, parmi eux, certains étaient presque blancs, beaux et bien proportionnés ; d’autres, moins blancs, avaient l’air de mulâtres, et d’autres encore, aussi noirs que des Éthiopiens, étaient si disgraciés de visage et de corps que ceux qui les regardaient croyaient voir des images d’un hémisphère inférieur. »
Ces prisonniers du Sud étaient des Berbères, plus ou moins métissés de Noirs, victimes d’une razzia sur la côte mauritanienne. D’autres razzias suivirent rapidement. Ainsi commença la traite négrière. Mais ce tournant du destin de l’Afrique et du monde parut tout naturel aux contemporains de Zurara. Les Portugais, pionniers des Grandes Découvertes, avaient été les premiers, grâce à leurs nouveaux bateaux et à leurs nouvelles techniques de navigation, à se hasarder au-delà du cap Bojador, à la pointe de l’Afrique de l’Ouest. Rien n’était pour eux plus normal que de ramener du butin, humain ou autre, de leurs expéditions. L’esclavage était une institution dans l’Antiquité. À la suite, la Renaissance ne vit aucun mal à prendre, sur ce point aussi, le relais. Vers 1550, le diplomate flamand Ogier Ghislain de Busbecq écrivait : « Nous n’arriverons jamais à égaler la magnificence des oeuvres de l’Antiquité, et la raison en est que nous n’avons pas les mains nécessaires, c’est-à-dire les esclaves. »
Les premières années, cependant, la destination des Africains achetés ou enlevés de la Guinée à l’Angola fut la péninsule Ibérique. Mais en 1492, comme on sait, Christophe Colomb découvrit l’Amérique, ou plutôt un îlot des Antilles, Guanahani. Puis, ce qui sera le fleuron de son premier voyage, la grande île qu’il baptisa Hispaniola et qui deviendra Haïti. Dès 1509, son fils Diego, gouverneur d’Hispaniola, se plaignit auprès du roi Ferdinand d’Espagne du manque de main-d’oeuvre dans les mines d’or. Les « Indiens » avaient déjà été décimés par les mauvais traitements et les maladies introduites par les Européens. Le 22 janvier 1509, à Valladolid, le roi Ferdinand donna ordre d’envoyer à Hispaniola un contingent de 50 esclaves africains, « les meilleurs et les plus solides possible ». Il décida, le 24 février, d’en expédier 200 autres. Tel fut le début de la traite transatlantique.
Les Portugais furent les rois de cette traite. Dans sa monumentale histoire de l’esclavage (The Slave Trade, 910 pages, Simon and Schuster, 1997), le Britannique Hugh Thomas estime à 4 650 000 au total le nombre des Africains embarqués par leurs soins, essentiellement au départ de l’Angola, pour 30 000 traversées. Les Anglais en totaliseront 2 600 000, plus 300 000 pour leurs colonies d’Amérique du Nord ; les Espagnols, 1 600 000 ; les Français, 1 250 000.
L’explication ? Le pays destinataire des livraisons portugaises était le Brésil, découvert en 1500 par le Portugais Pedro Alvares Cabral, et l’Europe s’était mise à consommer du sucre. Or c’est au Brésil qu’avait été inventée la plantation exclusivement sucrière. À Cuba ou à Hispaniola, la canne cohabitait avec le tabac ou le cheptel. Les planteurs brésiliens avaient d’ailleurs une conception toute particulière de l’utilisation des esclaves : il était prévu qu’ils meurent dans les dix ans, et qu’on les remplace par des Africains importés. On évitait la reproduction, qui privait du travail de la mère pendant trois ans. Le remplacement coûtait moins cher.
À une époque, il y eut ainsi au Brésil plus de Noirs que de colons portugais et d’Indiens. En 1817, par exemple, sur une population totale de quelque 4 617 000 habitants, indique l’Encyclopaedia britannica, on comptait 2 887 500 Noirs, 628 000 métis (mélange d’Indiens, de Noirs et de Blancs), 843 000 Blancs et 258 000 Indiens. Mais contrairement aux puritains anglais de l’Amérique du Nord, les Portugais « fréquentaient » volontiers les Indiens et les esclaves noirs (noires), et la population a blanchi régulièrement. Ce métissage, plus la concentration des plantations sur la bande côtière (Pernambouc, Bahia), peut expliquer que les Africains-Américains n’aient pas eu au Brésil le même sort qu’aux États-Unis. Indépendant en 1822, le Brésil n’interdira l’esclavage qu’en 1888.

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