Bill Gates

L’homme le plus riche du monde a construit sa fortune sur une idée d’adolescent, mais révolutionnaire. Aujourd’hui, ses dollars vont aux plus démunis.

Publié le 19 décembre 2003 Lecture : 8 minutes.

« Je serai millionnaire à 30 ans » ! Quelle insolence pour un étudiant de 19 ans, aussi doué soit-il, que de haranguer ainsi ses professeurs de Harvard, l’une des plus grandes universités américaines. Et pourtant, Bill Gates se sous-estimait – ce fut d’ailleurs l’une des seules fois de sa vie. À 31 ans, il était tout simplement milliardaire en dollars et, à 38 ans, l’homme le plus riche du monde, coiffant au poteau les parcours des Rockefeller, Carnegie ou autres Ford. Aujourd’hui, à l’aube de la cinquantaine, il pèse 46 milliards de dollars et a su rester, depuis dix ans, au premier rang des richesses mondiales.
William H. Gates III ne vient pas d’un milieu modeste comme les mythiques self-made-men du XIXe siècle ou du début du XXe. Il n’est pas enfant de la balle, n’a pas arpenté les rues pour gagner trois sous, n’a pas grimpé les échelons d’une entreprise.
Bill Gates, troisième du nom d’une famille d’avocats et de banquiers, sorti tout droit de sa banlieue bourgeoise de Seattle, s’est lancé dans le monde des affaires à 19 ans, en fondant avec son ami d’enfance Paul Allen une entreprise qui deviendra rapidement le géant du logiciel, Microsoft. À l’origine, une passion : les ordinateurs. Assortie d’une idée visionnaire : il imaginait déjà la « micro » informatique sur tous les bureaux et dans toutes les maisons, à une époque où le plus petit des ordinateurs mesurait 2 mètres de hauteur et pesait 550 kilos.
Bill Gates n’a jamais été charismatique. Souvent enfermé dans sa chambre « à réfléchir », il était considéré par ses camarades de classe comme un type bizarre, qui passait son temps libre à pianoter sur l’ordinateur de Lakeside, l’école privée qu’il fréquentait. Il est un nerd avant l’heure : un garçon passionné par les écrans et les microprocesseurs, peu intéressé par les relations sociales ou les modes, beaucoup plus par les potentialités qu’offrent les machines. Les années 1970 ouvriront pour beaucoup de jeunes Américains une période inédite de libertés et de transformations. Pour le petit Bill, la révolution n’est pas dans la rue ni sur les campus : elle est au sein de ces ramifications complexes de transistors et de chiffres qu’on aligne pour faire des programmes.
Au collège, celui qu’on appelle « le type de l’ordinateur » a pourtant des amis. De précieux compagnons de jeux informatiques convaincus de la révolution à venir. Les amitiés que Gates forge avec Kent Evans et Paul Allen au collège, et Steve Ballmer à Harvard vont faire sa force. Tous seront liés à l’aventure Microsoft. Pour la bande de Gates, amitié rime avec informatique et, très vite, avec travail. En 1972, alors qu’ils n’ont que 17 ans et 20 ans, Gates et Allen lancent leur première société – Traf-O-Data – pour vendre des microprocesseurs capables d’effectuer des tâches simples. L’affaire ne tiendra pas : les adolescents sont un peu jeunes pour être crédibles auprès de leurs clients. Mais « nous restions convaincus que notre avenir, s’il n’était pas dans la fabrication de matériel, tournait autour des microprocesseurs », écrit Gates dans La Route du futur, son livre publié en 1995.
C’est aussi grâce à sa famille que Bill Gates deviendra ce multimilliardaire aujourd’hui père de trois enfants. Il raconte l’influence de ses parents : « J’ai écrit mon premier programme à l’âge de 13 ans. Pour jouer au morpion. Sur un ordinateur énorme, lent, mais totalement fascinant. Nos mères avaient décidé de consacrer les bénéfices d’une vente de charité à l’installation et à l’utilisation d’un terminal par les élèves. Laisser un ordinateur entre des mains de collégiens, à la fin des années 1960, à Seattle, était une initiative étonnante – dont je leur serai éternellement reconnaissant. »
Voilà : Mary Gates, ancienne institutrice reconvertie en mère au foyer, femme active dans la vie associative et éducative de Seattle, a compris très tôt ce qui motivait son fils. Avec son mari, pourtant avocat et lui-même fils du fondateur de la Seattle’s National City Bank, ils laisseront ainsi « Trey » – le surnom de William H. Gates III – quitter Harvard sans diplôme en 1974. Il n’a alors que 19 ans, mais une volonté de fer et l’assurance que son idée est révolutionnaire. À quoi bon rester sur les bancs de l’université quand on passe déjà ses jours et ses nuits à penser au programme qui fera de ces microprocesseurs naissants des ordinateurs utilisables par tout un chacun ?
Bill Gates n’est pas seulement un petit génie de l’informatique. Il adore jouer au poker jusque tard dans la nuit. Il n’est pas toujours chanceux au jeu, mais saura mettre de côté le pécule nécessaire lui permettant de créer Microsoft avec Paul Allen. La fibre du businessman est déjà présente chez le jeune homme. Tant qu’à avoir une bonne idée, autant en faire profiter son porte-monnaie et non les centres de recherche de Harvard.
En 1974, Gates quitte donc Boston pour rejoindre Paul Allen à Albuquerque, au Nouveau Mexique. Là-bas, MITS, l’entreprise qui fabrique l’Altair, l’ordinateur que les deux prodiges pensent pouvoir transformer grâce à leur système d’exploitation, le Basic, a été impressionnée par leur programme. Ses dirigeants préfèrent leur acheter le logiciel plutôt que d’en créer un eux-mêmes. En avril 1975, Microsoft est donc lancée et réalise son premier chiffre d’affaires sur le concept qui fera son succès : la création de logiciels bien protégés, vendus à des constructeurs d’ordinateurs.
En 1979, Bill Gates persuade les seize employés de Microsoft de déménager l’entreprise à Seattle, sa ville natale, où, selon lui, il sera plus facile de recruter de jeunes informaticiens. La culture de l’entreprise Microsoft est née : engager les meilleurs, à peine sortis de l’école, pour les « formater ». Gates retrouve alors Steve Ballmer, son compagnon de Harvard qui rejoint Microsoft, et double, pendant cinq ans, le nombre d’employés et les bénéfices de l’entreprise à chaque exercice. Les deux hommes ne font désormais qu’un pour diriger Microsoft, même si Bill Gates en reste le PDG pendant plus de vingt ans. La success story de l’homme et de l’entreprise est lancée et ne s’arrêtera plus. Jusqu’en janvier 2001.
À cette époque, Gates semble fatigué d’être le patron. Probablement ébranlé par les poursuites judiciaires qu’a subies l’entreprise, accusée de contrevenir aux lois antitrust aux États-Unis et en Europe, il propose à son alter ego le poste de directeur général. Lui ne garde que celui de « chairman » et « d’architecte en chef des logiciels ». En clair, il veut tirer un trait sur les complications du quotidien, s’occuper de sa famille ainsi que de la fondation qu’il a créée avec sa femme, Melinda (lire page XX). Il veut aussi revenir à sa passion : la programmation informatique et la recherche d’idées. À 45 ans, le maître du monde peut bien s’offrir ce luxe. D’autant qu’il incarne tellement Microsoft que le grand public ne sait même pas qu’il n’en est plus le principal dirigeant. Paul Allen et Steve Ballmer, entre autres, ont autant que lui participé au succès de l’entreprise, mais Bill Gates est plus qu’eux : il est Microsoft.
Décriée depuis l’essor d’Internet comme une société agressive faisant de la vente forcée et refusant de révéler son code-source au moment où naissaient les logiciels libres comme Linux, Microsoft est devenue – à juste titre – la bête noire d’une partie de la communauté informatique, qui s’estimait brimée par l’omnipotence de Microsoft. Où était donc passé le jeune programmateur passionné par le progrès et ouvert à toutes les possibilités qu’il offrait ? Comment était-il devenu ce PDG arrogant, bravant à la foi les lois et le principe même des découvertes scientifiques, à savoir le partage du savoir ?
Malgré des pratiques commerciales peu louables, Microsoft a réussi à sortir sans trop de dégâts des déboires juridiques dans lesquels elle a été plongée au tournant du siècle. Aujourd’hui, l’entreprise se veut plus « gentille », plus ouverte. Un mail de Bill Gates à tous ses employés expliquait en janvier 2002 le changement de cap : faire en sorte que les consommateurs fassent confiance à Microsoft. Là encore, l’esprit malin avait compris – mais peut-être un peu tard – l’évolution des mentalités. De là à conclure que les initiatives de bienfaisance que Gates médiatise de plus en plus par le biais de la fondation Bill & Melinda Gates sont également destinées à transformer son image de « dinosaure » ou de « requin », il n’y a qu’un pas.
Melinda : voilà encore un autre bonheur que Microsoft a apporté à Bill Gates. Depuis l’entrée en Bourse en 1986, le lancement de Windows 3.0 en 1990 salué par la critique et le public, Bill était devenu milliardaire. En 1992, il sort un peu la tête de l’ordinateur et rencontre une jeune et jolie directrice de marketing de son entreprise : Melinda French. Le 1er janvier 1994, il l’épouse à Hawaii. Bardée de diplômes, Melinda abandonne pourtant son travail deux ans plus tard pour se consacrer à l’éducation de leur fille Jennifer, qui vient de naître et sera bientôt rejointe par Rory et Phoebe Adelle. Surtout, elle incite Bill à créer la fondation qui prend leurs noms et devient l’organisation philanthropique la plus généreuse au monde (voir tableau). Pour elle, la réflexion qui a entraîné la création de la fondation relève d’abord d’une tradition familiale chez les Gates et dans sa propre famille. Enfant, Bill était scout et vendait des noisettes pour récolter de l’argent pour sa troupe. Ses parents étaient très impliqués dans la communauté philanthropique de Seattle. Quand la mère de Bill est décédée en juin 1994, la fondation devenait un moyen pour le fils et le mari de travailler ensemble. « Pour la mère de Bill, il était très important de donner une partie de ce qu’on avait », explique Melinda Gates au journaliste du quotidien britannique The Guardian. Son décès aurait donc été le « catalyseur » de la fondation.
Il est difficile de douter des bons sentiments du couple multimilliardaire, qui a annoncé vouloir donner toute sa fortune avant la fin de sa vie à des fins humanitaires ou sociales. À l’exception de quelques millions pour les enfants. Même si, en passant, l’amélioration de l’image Bill Gates profite aussi à Microsoft.
De toute façon, il n’a pas perdu l’ambition des gagnants. « Je reste confiant et optimiste », écrit-il dans La Route du futur. « En partie parce que c’est dans ma nature, en partie parce que je crois en ma génération. Devenue majeure en même temps que les ordinateurs, elle est capable de grandes choses. Je crois à l’inéluctabilité du progrès ; il s’agit donc d’en tirer le meilleur possible. » Avec le dernier produit Microsoft présenté récemment (qui relie logiciels et serveurs d’entreprises, accentuant ainsi le « monopole »), Bill Gates ne prouve pas forcément les bonnes intentions de Microsoft. Mais il n’y a pas de retraite pour le progrès, quel qu’il soit, surtout pour un patron dont le visage est resté poupin, et qui a encore de beaux jours devant lui.

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