Présidentielle en Tunisie : le show de Youssef Chahed pour lancer sa campagne

Youssef Chahed, qui a délégué temporairement ses pouvoirs de Premier ministre pour candidater à la présidence de la République, a tenu son premier meeting de campagne à Tunis, lundi 2 septembre. Il en a profité pour annoncer les grandes lignes de son programme et défendre son bilan.

Le chef du gouvernement Youssef Chahed, le jour de son dépôt de candidature à l’élection présidentielle, vendredi 9 août 2019 à Tunis (image d’illustration). © Hassene Dridi/AP/SIPA

Le chef du gouvernement Youssef Chahed, le jour de son dépôt de candidature à l’élection présidentielle, vendredi 9 août 2019 à Tunis (image d’illustration). © Hassene Dridi/AP/SIPA

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Publié le 3 septembre 2019 Lecture : 5 minutes.

Chemise blanche sans veste ni cravate, les manches relevées jusqu’aux coudes. C’est un Youssef Chahed au dynamisme décontracté, à l’américaine, qui a donné son premier meeting de candidat à la présidence, ce lundi 2 septembre à Tunis. Après un passage à Lyon ce week-end pour un discours à destination des Tunisiens de l’étranger, il a choisi comme cadre pour l’ouverture de sa campagne sur le territoire national une salle du Laico, grand hôtel chic de la capitale. Loin de la poussière sablonneuse du grand Sud, qu’il a rejoint l’après-midi même pour la poursuivre sur le terrain.

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Comme d’autres, Youssef Chahed a promis de se rendre dans les 24 gouvernorats (régions) que compte le pays, et ce d’ici au 13 septembre, veille du silence électoral et avant-veille du scrutin. Durant cette campagne express, les 26 candidats risquent de se croiser. Or, les meetings populaires de dernière minute pourraient fortement influencer le vote. Ce marathon revêt donc une importance toute particulière.

Muni d’un micro oreillette, il a arpenté la scène durant plus d’une heure, les mains libres, volubile, en commentant les données affichées sur les trois écrans géants installés derrière lui. De quoi satisfaire Ahmet, 72 ans, venu avec deux amis du quartier de la Manouba (banlieue nord-ouest de Tunis). « Il est capable de diriger la Tunisie car il est jeune et actif ! », s’enthousiasme-t-il. Avant d’ajouter : « Il peut aussi diriger avec fermeté, il a été chef du gouvernement. » Youssef Chahed enchaîne les promesses pour conforter cette idée. À commencer par l’instauration d’une « Tunisie plus forte ». Son rêve ? Que les Tunisiens s’en sortent « la tête haute ».

« J’ai les mains propres »

Le chef du gouvernement, qui a délégué temporairement ses pouvoirs à Kamel Morjane, son ministre des Affaires publiques, après avoir annoncé sa candidature le 8 août, est revenu sur son parcours. Il a repris la rhétorique déjà largement répétée de l’homme seul contre tous durant ses trois années au pouvoir, en lutte contre « ceux qui s’opposaient au changement ». Et de mettre en avant son expérience, qui le démarque de beaucoup d’autres, gage de connaissance du système et des « obstacles » qui l’entravent, dont la corruption. Youssef Chahed promet de les surmonter, et se plaint même d’avoir été victime d’une véritable « guerre » pour empêcher de mener à terme son opération « mains propres ».

Il dénonce ‘des mafieux qui veulent s’accaparer le pouvoir’. Avant de jurer, solennel : ‘j’ai les mains propres, ils n’ont rien trouvé sur moi’

Son passé d’ingénieur agronome lui a appris la « patience », assure-t-il. Derrière lui, l’écran géant, synchronisé, diffuse l’image de mains empoignant des olives, avant de représenter une silhouette ombreuse à chapeau. L’occasion d’enchaîner sur la dénonciation « des mafieux qui veulent s’accaparer le pouvoir », et de jurer, solennel : « j’ai les mains propres, ils n’ont rien trouvé sur moi ». Une allusion de plus au camp de Nabil Karoui, ce rival dans la course à Carthage arrêté et placé en détention vendredi 23 août ?

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Moins attendu, il s’engage à lutter contre le clanisme familial en politique. Une allusion cette fois à Hafedh Caïd Essebsi, fils de feu le chef de l’État Béji Caïd Essebsi, dont l’influence au sein de son ancien parti, Nidaa Tounes, a engagé la rupture de Youssef Chahed avec son mentor. « J’espère que ma famille me pardonnera », a-t-il osé blaguer, devant un public réactif.

« Ce n’est pas l’État qui recrute »

Égrenant un programme de dix points et 45 engagements, il a souligné les efforts de décentralisation mis en œuvre sous son gouvernement (notamment via le Code des collectivités locales), et promis un nouveau rôle pour l’État. Les secteurs régaliens de l’enseignement lui resteront réservés, mais il ne pourra pas tout financer, prévient-il. Surtout pas toutes les embauches, dans un pays déjà très alourdi par le poids de la fonction publique. « Il faut que la jeunesse sache que l’État peut aider, mais que ce n’est pas lui qui recrute ».

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Concernant la sécurité, le candidat prévoit davantage d’investissements dans l’armée, ainsi qu’une police de proximité et des caméras de surveillance pour lutter contre les braquages et le harcèlement. Après l’échec du processus de justice transitionnelle, il envisage par ailleurs une loi de réconciliation pour atténuer les divisions qui déchirent le pays. Mais aussi une révision de la loi électorale, afin de permettre de dégager des majorités plus claires à l’Assemblée. Son évocation de la défense des droits des femmes et la promotion de la parité lui a également valu des applaudissements et youyous.

Le candidat Youssef Chahed en campagne pour l’élection présidentielle du 15 septembre 2019 (image d’illustration). © Facebook/
@Youssefchahedofficiel

Le candidat Youssef Chahed en campagne pour l’élection présidentielle du 15 septembre 2019 (image d’illustration). © Facebook/ @Youssefchahedofficiel

Diplomatie et « expérience du pouvoir »

Sur le terrain diplomatique, Youssef Chahed a abordé une question sensible pour les Tunisiens : l’obtention de visas, en particulier vers l’Europe, qu’il prévoit de faciliter. « J’ai vu des diplômés être humiliés alors qu’ils demandaient un simple visa ! », s’est-il indigné. Pour y remédier, il promet qu’il facilitera les expériences professionnelles et stages à l’étranger. Une convention existe déjà avec la France en ce sens, concernant 9 000 étudiants ; il s’agira donc de développer ce genre de partenariats avec d’autres pays.

« Ce n’est pas normal d’ouvrir les portes pour certains et pas pour d’autres », a-t-il estimé. Prônant une « migration concertée » afin qu’il n’y ait plus seulement les médecins et ingénieurs qui partent chercher du travail de l’autre coté de la Méditerranée, il a aussi dénoncé le « fardeau » des migrants subsahariens aux frontières tunisiennes, qu’il souhaite partager avec l’Union européenne (UE).

Autre priorité : drainer des investissements étrangers et conquérir de nouveaux marchés, notamment en Afrique, et en particulier chez les voisins libyen et algérien

Autre priorité : drainer des investissements étrangers et conquérir de nouveaux marchés, notamment en Afrique, et en particulier chez les voisins libyen et algérien. Une zone de libre-échange avec l’Algérie constituerait la première pierre d’un grand Maghreb arabe, tant attendu dans la région, a-t-il déclaré.

À l’en croire, s’il est élu, Youssef Chahed sera un nouvel homme, proche du peuple et du gouvernement. « Étant donné le nombre de candidats qui partagent le même objectif, je le soutiens lui, car même s’il n’a pas réalisé de performances tangibles, par rapport aux autres il a au moins testé l’exercice du pouvoir », explique Ali, fonctionnaire venu l’écouter. « Ce n’est pas une motivation extraordinaire, mais un moindre mal, un calcul pour éviter de tenter une aventure vouée à l’échec », concède-t-il, en rêvant d’une coalition avec d’autres partis.

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