Racisme à l’atelier

Un employé camerounais a subi, pendant un an, les brimades de ses collègues de travail.

Publié le 22 novembre 2004 Lecture : 3 minutes.

« J’ai fait 6 000 km pour venir ici, ce n’était pas pour subir pareille humiliation. Ce n’est pas simple d’en parler. » La voix de Théodore Nkamdo est grave, monocorde. Elle reflète le calvaire qu’endure depuis plus d’un an ce père de famille de 40 ans, de nationalité camerounaise. Le 4 novembre, Théodore a porté plainte contre quatre de ses collègues pour « violences volontaires en réunion avec préméditation » et contre son employeur pour « discrimination raciale ». Il estime, photo à l’appui, avoir été victime d’un acte de « maltraitance à caractère raciste » dans son entreprise de Molsheim (Bas-Rhin, dans l’est de la France).
Employé depuis le 11 septembre 2000 comme « régleur » dans l’usine Osram, deuxième fabricant mondial de lampes électriques et filiale du groupe Siemens, il a été retrouvé… ligoté à un poteau. Triste sort pour un homme installé en France depuis 1983, pays où il a pu entreprendre des études « pour se donner une nouvelle chance », et qui vit à Strasbourg depuis quatorze ans.
L’affaire remonte à 2003. Un soir de janvier, alors que le technicien attend avec impatience de retrouver ses quatre enfants, « l’appel gyrophare » de l’atelier, une alerte censée signaler un dysfonctionnement mécanique, retentit. Théodore sort de son bureau pour « aller voir ce qui ne va pas ». Il est aussitôt neutralisé par six individus et conduit « au pied de l’arbre d’où descend le gorille » – comme le qualifient gracieusement ses bourreaux. Ceux-ci le font asseoir à même le sol, puis l’attachent solidement à un poteau avec du ruban adhésif. Malgré tous les noms d’oiseau dont on l’accable, Théodore, connu comme « un homme plutôt tranquille », croit à une (très) mauvaise blague. Ses collègues ne l’ont-ils pas souvent traité de « sale nègre » issu d’une « sale race » ? Abandonné sur place, il sera délivré un quart d’heure plus tard par l’un d’entre eux, plus charitable.
L’affaire aurait pu s’arrêter là : la victime ne veut pas faire de vagues de crainte de perdre son emploi, d’autant que son épouse est au chômage. « Pour ne pas perdre la face », il lui dissimule l’incident. Mais, afin de mieux humilier Théodore, ses agresseurs, qui ont pris des photos de la scène, les distribuent sous le manteau dans l’entreprise. L’employé, devenu la risée de tous, parvient à se procurer l’une d’elles. Il se plaint en vain auprès de ses supérieurs qui lui conseillent d’« oublier et de déchirer le cliché ». Autour de lui, la pression ne diminue pas pour autant. « Après, raconte Me Nisand, son avocat, il y a eu des insultes racistes, des invectives, des jets d’ampoules de la part de ses collègues qui lui demandaient de rentrer chez lui en lui montrant des bananes. »
Dix mois plus tard, Théodore est mis à pied pour deux jours, puis subit une rétrogradation en mars 2004. Motif invoqué : « des retards et des baisses de qualité » dans son travail. C’en est trop pour ce diplômé en génie mécanique et maintenance qui a travaillé chez General Motors avant de gérer sa propre entreprise pendant huit ans, jusqu’à un malheureux incendie en 1999.
En août 2004, il entame une procédure devant les prud’hommes. Devant le peu d’intérêt manifesté par l’entreprise, la tentative de conciliation échoue. Le 4 novembre, il saisit le tribunal de grande instance de Saverne avec le soutien de la Licra (la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme). Et suit un traitement psychiatrique depuis le 9 juillet. Pendant ce temps, la direction d’Osram affirme ne pas avoir été informée des agissements dénoncés par son employé. Le président d’Osram-France, Pascal Rinckenberger, évoque l’hypothèse « d’une petite fête, une troisième mi-temps ». Une manière peu ordinaire de faire la fête sur laquelle les autorités françaises sont restées peu disertes, la fausse affaire de « l’acte antisémite du RER », en juillet dernier, les ayant peut-être échaudées (voir J.A.I. n° 2271). Mais est-ce suffisant pour expliquer cette sorte de black-out de la part des médias français qui lui ont consacré un traitement relativement marginal ?

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires