Que la fête continue !

Après un an et neuf mois de procédure, la justice française a rendu son verdict dans l’affaire des faux visas : le « roi de la rumba » ne retournera pas en prison. Au grand soulagement de ses fans.

Publié le 22 novembre 2004 Lecture : 6 minutes.

Les portes de la 13e chambre du tribunal correctionnel de Bobigny se sont refermées aussi vite qu’elles ont été ouvertes ce 16 novembre à 13 heures. Il fallait pourtant jouer solidement des coudes pour se frayer un chemin et résister à la bousculade des fans de la star venus soutenir leur idole. Neuf minutes exactement ont suffi à la présidente Françoise Bouthier-Vergez pour fixer les huit inculpés sur leur sort dans ce qu’on a appelé l’« affaire Papa Wemba ». Le temps d’inviter les accusés à la barre et de lire leur condamnation. Les peines sont plutôt clémentes. Mais comme pour alourdir une atmosphère qui l’est déjà, le principal inculpé n’est appelé qu’en sixième position.
À la lecture du verdict, la salle retient son souffle : condamnation à trente mois d’emprisonnement dont vingt-six avec sursis et 10 000 euros d’amende. Silence. Papa Wemba a déjà passé quatre mois de détention préventive. Le calcul est vite fait. Deux cris secouent la salle. La présidente, d’un regard autoritaire, rétablit l’ordre et poursuit sa lecture, imperturbable. À 13 h 20, le tribunal se retire. Papa Wemba, les bras croisés dans le dos, ne bouge pas. À quoi pense-il à cet instant ? « Mon coeur était en larmes », nous confiera-t-il plus tard. Sa fille qui se jette dans ses bras entonne « on a gagné ! on a gagné ! », repris en choeur par la centaine de sympathisants portant des foulards à l’effigie du chanteur. Lequel, bien que libéré, ne peut pas quitter la salle. « Prisonnier » de ses fans et traqué par les journalistes, il répond invariablement à des questions qu’il n’entend pas. Crépitements d’appareils photo, bousculades des cameramen qui cherchent le bon angle… la star renaît, radieuse. « J’avais la conscience tranquille, déclare-t-il. Je n’ai fait de mal à personne et ce matin j’ai lu l’Évangile sur l’entrée de Jésus à Jéricho ; quand il a rencontré Zachée et est allé manger chez lui. L’ennemi est souvent dans la maison. » Peu après, c’est sur les épaules d’un de ses gardes du corps et par la grande porte qu’il sort du tribunal, triomphant : il n’a certes pas été lavé des accusations portées contre lui, mais il ne retournera pas en prison. « C’était l’essentiel. »
À la première audience du 26 octobre dernier, l’artiste plaide d’abord la « naïveté » avant de reconnaître avoir été « tenté » quand il a découvert que son entourage profitait du système. Cet aveu a-t-il instruit au sein des juges l’idée de circonstances atténuantes ? Sans faire le moindre commentaire de sa décision, le tribunal a finalement permis à l’artiste d’échapper au pire. Le procureur avait requis cinq ans d’emprisonnement à l’encontre de la star.
Un verdict qualifié également de clément par l’ensemble de ses huit coaccusés qui sont tous ressortis libres du tribunal, condamnés chacun à des peines n’excédant pas quatre mois de prison ferme. Jean-Jacques Nsiku, ancien producteur de spectacles du Molokai, l’un des groupes du chanteur, écope, outre le sursis, d’une amende de 3 000 euros. C’est la sanction financière la plus lourde après celle de Wemba. Absente du procès à la demande du chanteur « parce que sa place est au foyer », Amazone, son épouse, elle aussi inculpée, s’en tire avec vingt mois de sursis. Mais Khady Shungu, leur fille aînée, aurait souhaité qu’elle en soit complètement blanchie, car « le plus dur est à venir, toute la famille va porter le poids psychologique de cette affaire ».
Deux heures après le verdict, retour au siège de sa société. La cour principale du centre d’affaires de Bobigny où le chanteur a installé l’administration de ses activités ne désemplit pas. Ils sont tous là. Gertrude, la quarantaine, fan « depuis toujours », est prodigue de ses accolades après avoir été généreuse dans la distribution des foulards à l’effigie de « Papa » en pleine salle d’audience. À ses côtés, Abet, dit Mitt, un chrétien « inconditionnel de Wemba depuis la naissance » ; tiré à quatre épingles, il ponctue chaque phrase d’une référence biblique. Car « c’est Dieu lui-même qui a inspiré ce verdict », explique-t-il en nettoyant pour la énième fois ses mocassins. Bien qu’arrivé parmi les premiers au tribunal de Bobigny, il ne repartira pas « avant d’avoir parlé en tête à tête » avec la star.
Aucun d’eux ne s’était résolu au pire, comme nombre de sympathisants présents dans le hall du tribunal. Même ceux supposés plus avisés, comme le journaliste Zacharie Bababaswe, bien connu des milieux kinois pour ses émissions people à la télévision nationale. Pour lui, « mettre Papa Wemba en prison revenait à emprisonner tout le Congo. Kinshasa et Abidjan allaient mener le même combat », extrapole-t-il en faisant allusion à la situation des ressortissants français pris dans le piège ivoirien. Venu de Tourcoing, le coordonnateur de la communauté congolaise de la région Nord-Pas-de-Calais fait antichambre. Il tient à remettre à Wemba son « réquisitoire contre la politique d’immigration de la France ». Des réactions qui sonnent comme un corpus idéologique de la part de personnes, qui s’emparent de l’affaire, parfois pour la réécrire.
Sur le bureau du chanteur, un petit guide sur lequel on lit « Jésus » est posé bien en vue. Papa Wemba reçoit debout dans un concert de sonneries de portables et de fax qui « tombent du monde entier ». Il répond à une radio belge d’un portable alors qu’un journaliste attend sur une deuxième ligne. Son propos semble bien rodé. « Mon seul regret dans cette affaire, c’est ce souvenir de la prison, quand je me suis retrouvé nu, menottes aux poignets, face à un homme. C’était très humiliant, déplore-t-il. Je reconnais qu’au lieu de taper du poing sur la table quand j’ai su ce qui se passait, j’ai été tenté par l’argent. Mais qui ne l’est pas ? C’est une faute, mais depuis trente ans je fais mon métier dignement, je suis un homme bon », poursuit le chanteur qui n’est pas peu ravi des dizaines de messages de soutien reçus sur son site Internet. Il les brandit comme autant de brevets d’honorabilité délivrés par « ceux qui ont fait de moi ce que je suis ». N’ont-ils pas été dans l’ensemble très « compréhensifs » ? Parce qu’ils savent, explique l’artiste, ce que signifie donner une chance à un jeune Africain de venir faire des études en Europe. Un an, neuf mois et deux jours dans la tourmente, a laissé des traces chez l’artiste. Son nom tatoué sous son oreille droite a perdu de son éclat, mais le visage est demeuré lisse, souriant même.
Le « roi de la rumba » n’en est pas moins fatigué de ce long calvaire qui remonte au 17 février 2003. Son statut de star internationale au succès grandissant connaît alors un coup d’arrêt quand il est appréhendé à son domicile français. Papa Wemba se voit signifier une série d’accusations qui va de « l’aide à l’entrée et au séjour irrégulier d’étrangers » à « l’association de malfaiteurs » en passant par « l’obtention frauduleuse de documents administratifs ». On lui reproche d’avoir obtenu – sous le couvert de ses spectacles – des visas pour des pseudo-musiciens, moyennant une somme entre 3 000 euros et 3 500 euros par personne.
À chaque voyage, la liste des musiciens, de plus en plus longue, variait sans que personne n’y prête vraiment attention, jusqu’en décembre 2001. La police des frontières s’étonne alors de voir débarquer à Roissy, pour le compte de Papa Wemba, plus de cent cinquante personnes dont plusieurs sont incapables de justifier de leur qualité de musicien. Pour y voir plus clair, elle ouvre une enquête qui aboutit à l’incarcération du chanteur à Fleury-Mérogis, une prison de la région parisienne. Il est libéré sous caution en juin 2003.
Aujourd’hui, le chanteur aspire à la « paix » et veut tourner la page. Il pense déjà au concert qu’il donnera à Liège, en Belgique, le 4 décembre, puis à Londres la semaine suivante, car « l’art doit reprendre ses droits » and the show must go on ! conclut-il. D’ici là, il attend « avec sérénité » le volet belge de l’affaire, car il est également poursuivi pour les mêmes accusations à Bruxelles où l’enquête suit encore son cours.

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