Noires et belles

La première agence spécialisée dans les mannequins « blacks » a vu le jour à Paris. Une trentaine de jeunes filles représentatives de toute l’Afrique rêvent déjà de marcher sur les traces de Naomie Campbell.

Publié le 22 novembre 2004 Lecture : 4 minutes.

C’est Marie-Laure Attard, petit bout de femme rousse à la silhouette moulée de noir, qui vous accueille à l’entrée du studio. Un vaste atelier mezzanine aux murs blanc cassé, baigné par la douce lumière des spots. Du matériel photo s’entasse dans un coin, des coussins rayés de vert invitent à s’asseoir, l’ambiance est chaleureuse. Des jeunes filles papotent. Leurs points communs : elles sont toutes sublimes et appartiennent à l’agence de mannequins que Marie-Laure vient de créer, Lady Black. La première agence spécialisée dans les top models noirs et métisses en France. Et dans le monde.
« C’est un concept tout à fait nouveau, explique Marie-Laure. Il y a encore cinq ans, ça aurait été de la provocation, mais les mentalités évoluent. On peut s’identifier à une femme noire même si l’on est blanche. Et quand je vois ma petite-fille jouer avec une poupée Barbie noire, je pense aux générations futures ! Je me suis aussi rendu compte qu’il manquait sur le marché une agence de ce type. Je n’ai passé aucune annonce, mais j’ai reçu depuis cet été plus de 250 filles. »
Le pourcentage de mannequins « blacks » dans les grandes agences de la place de Paris ne dépasse pas 3 %. La plupart ne font signer qu’une ou deux Noires, s’imposant implicitement un quota. Aminata, beauté sénégalaise de 22 ans, en a fait les frais : « Lorsque je me suis présentée, la personne qui m’a reçue m’a dit qu’elle me trouvait très bien mais qu’elle avait déjà deux Blacks… » Les filles sont refusées sous n’importe quel prétexte. À Aïssa, longue liane nigérienne de 25 ans, repérée par la fille de Marie-Laure à l’épicerie du coin, on a demandé de se raser les cheveux comme Alek Wek, l’une des rares mannequins africaines au top. Aïssa a bien sûr refusé et abandonné son rêve de devenir modèle. Jusqu’à sa rencontre avec Lady Black.
« Mes critères de sélection : avoir de la tenue, de la correction et une base d’éducation, explique Marie-Laure. Je mets la barre très haut pour leur bien. Les mannequins noires doivent être deux fois plus compétentes et professionnelles. Elles sont un peu comme les premières femmes qui ont voulu s’imposer dans le monde du travail. Elles rencontrent les mêmes problèmes, les mêmes a priori et les mêmes réticences. Elles se font exploiter. On leur donne une robe à la place d’un cachet ! Le fait que j’aie osé proposer ce genre de concept dérange ces mauvaises habitudes. Je veux que les mannequins noires et métisses soient reconnues et qu’elles ne soient plus cantonnées aux magazines afros. Pourquoi n’y a-t-il qu’une seule Naomie Campbell ? Nous, on en a plein à l’agence ! »
Le critère impératif de Marie-Laure, c’est la diversité, pour « ne pas réduire l’Afrique à un seul type, comme on l’a fait avec les filles de l’Est, toutes blondes aux yeux bleus ». Parmi les trente filles engagées par Lady Black, il n’y en a pas deux qui se ressemblent. Il y a par exemple Justine, 21 ans, métissée antillaise, crinière rousse, peau dorée et yeux clairs, repérée dans le métro parisien. Et Carmen, la cadette, tout juste 16 ans, d’origine congolaise (RDC), visage d’enfant sage et cheveux tirés, chaperonnée par un papa enthousiaste : « Madame Attard est en train de faire tomber des tabous en France et de faire voler en éclats certaines idées établies depuis trop longtemps, c’est courageux ! »
Le photographe de mode Frédéric de la Chapelle, qui collabore à l’agence, pense que c’est le moment idéal pour lancer un tel concept : « Depuis plusieurs années, des études de marché effectuées aux États-Unis ont montré que les dépenses en cosmétiques et produits de beauté des femmes noires et métisses atteignaient plusieurs milliards de dollars de chiffre d’affaires par an ! Ces femmes représentent un énorme marché, et de grandes marques comme L’Oréal l’ont bien compris. La création de Lady Black a reçu un excellent accueil chez des marques comme Black up ou Mac, mais aussi chez les autres agences, qui nous envoient des filles. C’est un mannequin Lady Black qui a fait la couverture du Monde 2 il y a quelques semaines. »
Yambah, 24 ans, Tchado-Bretonne aux longs cheveux de jais ondulés et aux pommettes hautes, croit à l’aventure. « Aux États-Unis, une publicité sur deux est faite avec des Noirs. C’est peut-être pour bientôt en France ? lance-t-elle, malicieuse. Lady Black est pionnière et je suis sûre que plein de gens vont vouloir l’imiter ! »
L’agence a été officiellement lancée lors du défilé du styliste camerounais Imane Ayissi, le 7 novembre. Celui-ci a booké plusieurs filles Lady Black. « Je tire mon chapeau à Marie-Laure, mais il faut tout de suite se placer au plus haut niveau et ne pas tomber dans l’agence ghetto. D’autres sociétés ont essayé de se positionner sur ce créneau : elles ont plongé, car elles restaient cantonnées dans le milieu afro. Le marché est étroit, mais il y a des choses à faire. On voit toujours les mêmes Noires défiler pour les grandes maisons, il faut que ça change. »
Marie-Laure Attard, qui travaille dans la mode depuis plus de quinze ans et a roulé sa bosse entre la France et le Brésil, sait où elle va. « Je veux du sérieux. Le mannequinat est un métier spécial, qui peut déraper vers le proxénétisme… On ne compte plus le nombre d’agences bidon ! J’ai prévenu les filles que les paillettes, ce serait pour plus tard. Je ne leur promets pas l’argent facile, et j’insiste pour qu’elles gardent un travail à côté. »
Marie-Laure concentre toute son énergie sur ses petites protégées, elle n’a pour l’instant que six hommes dans son « catalogue ». Et table d’abord sur une reconnaissance parisienne, même si elle a déjà posé des jalons en Côte d’Ivoire et au Sénégal pour, bientôt, ouvrir une antenne africaine. Pour le moment, Aïssa, Carmen, Justine, Cynthia, Aminata, Yambah, Pascale et les autres se préparent en attendant d’entrer dans la lumière. Parce qu’elles le valent bien…

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