Mourir pour Fallouja

Pour Fareed Zakaria, de l’hebdomadaire Newsweek, l’offensive américaine contre le bastion sunnite marquera un tournant. Elle pourrait être fatale à l’insurrection. Ou, au contraire, décupler sa popularité et aggraver l’instabilité de l’Irak.

Publié le 22 novembre 2004 Lecture : 3 minutes.

La bataille de Fallouja devrait être un tournant dans la guerre en Irak. Ou bien elle porte un coup décisif à l’insurrection, et elle sera la première d’une série d’opérations
comparables dans d’autres villes, ce qui permettra d’organiser des élections en janvier. Ou bien elle n’affaiblit guère cette résistance, et l’Irak demeurera très instable. Dans ce cas, Fallouja sera à l’Irak ce que le Têt fut au Vietnam : le moment où il est apparu que l’insurrection était beaucoup plus étendue et profonde qu’on ne l’avait imaginé.
Il est trop tôt pour se prononcer. L’opération Fallouja est un succès militaire dans le sens où la ville a été reprise en main par les forces américaines. Mais il ne faut pas oublier les conséquences.
Les chefs de l’insurrection, tel Abou Moussab al-Zarqaoui, n’ont été ni tués ni faits prisonniers. La plupart d’entre eux, et leurs hommes, semblent avoir pris la fuite.
L’insurrection a gagné plusieurs autres villes. Mossoul, troisième ville d’Irak et trois fois plus peuplée que Fallouja, est à feu et à sang. Les insurgés ont incendié de nombreux commissariats et ouvert les portes de quelques prisons. Ils occupent plusieurs quartiers.
L’aéroport de Bagdad est fermé pour une durée indéterminée, après que des avions ont été attaqués par des missiles.
L’Association des sages musulmans, où se retrouvent d’importants dirigeants sunnites, a invité ses coreligionnaires à boycotter les élections en réponse à l’opération Fallouja.
Le Parti islamique irakien, le seul groupe sunnite qui collaborait depuis le début avec les États-Unis et participait au premier Conseil de gouvernement dirigé par Paul Bremer,
a retiré son soutien au Premier ministre Iyad Allaoui.
L’objectif global d’une contre-insurrection comme celle que mènent actuellement les États-Unis en Irak est de remporter la bataille des idées et la lutte politico-militaire pour le
pouvoir. Le centre de gravité des opérations de contre-insurrection est la population locale. Il est crucial d’obtenir et de conserver son soutien. La progression sur le terrain importe moins que l’élimination de l’aide aux insurgés. C’est très exactement ce qu’on peut lire dans un tout récent manuel des opérations de contre-insurrection (FMI 3-07.22), en principe confidentiel, mais qu’on trouve facilement sur Internet.
Concrètement, le but de l’opération Fallouja est de permettre d’organiser des élections dans les régions sunnites, de sorte que le gouvernement formé après le scrutin ait le soutien de la totalité de la population. Si cette opération provoque un boycottage des élections, quel aura été son intérêt ? Si elle aggrave l’antiaméricanisme général, en valaitelle la peine ? Si elle renforce la sympathie et le soutien dont bénéficient les insurgés, on sera tombé de Charybde en Scylla.
Il semble de moins en moins probable que ces élections puissent avoir lieu à la date prévue. La situation sécuritaire est de plus en plus préoccupante. Médecins sans frontières, Care et l’International Rescue Committee, trois organisations humanitaires
respectées, quittent le pays. La Pologne, la Hongrie, la Thaïlande et Singapour réduisent
leur présence militaire.
Le problème politique en Irak, c’est l’absence d’une vraie stratégie sunnite. Les États-Unis ont une stratégie chiite pour la majorité de la population et une stratégie kurde pour cette minorité. Mais celle qui concerne les sunnites a consisté à éliminer toutes les structures de pouvoir qui étaient entre les mains de ces derniers l’armée, la police, les administrations et à souligner l’inéluctabilité d’une domination chiite. Il faudra bien que les sunnites acceptent les nouvelles règles, disait-on. Or ils ne les ont pas acceptées. Sans une stratégie politique visant à s’entendre avec eux, les meilleures tactiques militaires ne serviront à rien.
Allaoui, qui n’est pas idiot, a compris l’importance de ce facteur. Il a tendu la main aux dirigeants sunnites et leur a proposé des amnisties de fait, bien que les États-Unis aient stupidement tenté de s’y opposer. Mais il n’a eu qu’un succès limité. Peut-être était-il déjà trop tard. C’est pourquoi il a donné son accord à l’assaut contre Fallouja, en espérant inverser la tendance.
Fallouja sera aussi un tournant pour Allaoui. Si l’opération réussit, il sera auréolé du prestige du vainqueur et se montrera magnanime dans la victoire. Si elle échoue, sa
crédibilité et sa popularité, qui ne sont déjà pas très grandes, vont encore en pâtir. Il sera considéré comme l’homme des Américains, détesté et incapable de mettre fin à la
violence. Ce qui n’arrangera rien.

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