Mirage ou virage ?

George W. Bush et son allié Tony Blair déclarent que la création d’un etat palestinien démocratique « vaincrait » le terrorisme islamiste. Reste à voir s’ils joindront l’acte à la parole.

Publié le 22 novembre 2004 Lecture : 6 minutes.

Le destin des Palestiniens – auront-ils un jour leur État ? – sera probablement scellé à l’issue d’une grande bataille politique qui va avoir lieu dans les mois à venir. Il ne s’agit pas là, et il ne s’est jamais agi, d’un conflit purement local opposant uniquement les Palestiniens et les Juifs. C’est un affrontement qui, après avoir pesé sur les relations internationales pendant une bonne partie du siècle dernier, ne pourra se régler que par un accord international.
Ce qui est en jeu n’est pas seulement la paix au Proche-Orient, mais aussi l’avenir de l’islamisme mondial et des rapports compliqués de l’Amérique avec le monde arabo-musulman.
Après l’impasse sanglante de ces quatre dernières années, la réélection du président George W. Bush et la mort de Yasser Arafat ouvrent, selon de nombreux observateurs, la possibilité d’une relance des relations israélo-palestiniennes. Bush lui-même a réaffirmé sa volonté de favoriser la création d’un État palestinien démocratique coexistant pacifiquement avec Israël. Il a laissé entendre qu’il était prêt à investir un certain « capital politique » pour y parvenir. Mais ce qu’il y a concrètement derrière ces propos est loin d’être clair.
Quels sont les adversaires en présence ? Il y a, d’un côté, les forces totalement opposées à la création d’un État palestinien : le Premier ministre israélien Ariel Sharon, son parti (le Likoud) et ses alliés religieux, ainsi que le mouvement armé des colons dont il est le principal architecte. Ces forces jouissent du soutien des néoconservateurs prosharoniens de Washington, dont beaucoup occupent des postes clés, et de la grande masse des chrétiens évangéliques américains.
Si incontestable que soit son pouvoir, ce camp est aujourd’hui soumis à une pression considérable. Sharon ne veut pas de négociations avec les Palestiniens et fera tout son possible pour les éviter, mais il pourrait avoir du mal à retarder ou à empêcher l’élection de nouveaux dirigeants palestiniens, prévue le 9 janvier, et à laquelle Bush semble tenir. Sharon compte sans doute sur un acte de terrorisme ou sur des violences interpalestiniennes pour lui sauver la mise. Aux États-Unis, les néocons sont sur la défensive, parce qu’ils sont largement tenus pour responsables d’avoir fourvoyé l’Amérique dans le bourbier irakien. Des néocons en vue comme le secrétaire adjoint à la Défense Paul Wolfowitz, son collègue du Pentagone Douglas Feith et Eliott Abrams, le directeur des affaires du Moyen-Orient au Conseil national de sécurité, ne sont pas assurés de leur avenir politique. La nomination de Condoleezza Rice comme secrétaire d’État et de Stephen Hadley comme conseiller à la Sécurité nationale a ôté à Wolfowitz tout espoir d’être promu à ces postes.
Feith est soupçonné d’avoir fabriqué et fait circuler de fausses informations pour pousser à la guerre en Irak. Abrams, de son côté, est un personnage fortement controversé, totalement dévoué à la cause de l’extrême droite israélienne. L’envoyer négocier avec Sharon sur les colonies équivaudrait à faire négocier Sharon avec lui-même. Garder de tels hommes à de tels postes signifierait que Bush n’est pas sérieux lorsqu’il prétend souhaiter la création d’un État palestinien.

Les adversaires de Sharon donnent de la voix
Une nouvelle coalition internationale s’est formée contre Sharon et les sharoniens. Elle réunit des militants dispersés et affaiblis de la gauche israélienne ; des membres influents de la « vieille garde » de la politique étrangère américaine, comme Zbigniew Brzezinski, Brent Scowcroft, James Baker, Anthony Zinni et bien d’autres, qui sont en désaccord avec la politique de Bush ; et des dirigeants européens, le président Jacques Chirac en tête.
Les soins attentifs dont Chirac a entouré un Arafat agonisant – contrairement au mépris témoigné par Bush et Sharon – étaient destinés à montrer que la France reste persuadée de la légitimité de la cause nationale palestinienne. Dans sa conférence de presse commune du 12 novembre avec le Premier ministre Tony Blair, Bush a indiqué qu’il espérait voir se constituer un État palestinien d’ici à la fin de son mandat. Les Français n’ont pas tardé à réagir. Un État palestinien « ne peut pas attendre 2009 », a déclaré le ministre des Affaires étrangères, Michel Barnier, dans une interview au Figaro du 17 novembre. « Les Européens, a-t-il affirmé, sont disponibles pour aider les Palestiniens à organiser des élections » – présidentielle, municipales et générales. Tous les Palestiniens devraient y participer, « y compris à Jérusalem-Est ». Les Européens, a-t-il ajouté, « sont unanimes pour dire aux États-Unis : c’est le moment d’écrire une nouvelle page ».
Le même jour, Brzezinski, ancien conseiller à la sécurité nationale du président Jimmy Carter, exposait dans Le Monde ses idées de règlement pacifique : à ce règlement il veut associer les États-Unis et l’Europe afin d’influencer l’opinion publique israélienne et palestinienne. Son plan est le suivant : pas de droit au retour pour les Palestiniens ; incorporation à Israël des colonies proches de la frontière de 1967, où se trouvent les deux tiers des colons, avec des compensations territoriales, ailleurs, pour les Palestiniens ; partage de la capitale, Jérusalem ; enfin, un État palestinien démilitarisé.

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Bush, Blair et la démocratie
Quelle est, sur ce problème, la position de Bush et de Blair ? Ils semblent se situer entre les deux camps. À leur conférence de presse de Washington, ils ont abondamment souligné la nécessité pour les Palestiniens de se convertir à la « démocratie », mais sans évoquer une seule fois les formidables obstacles qu’Israël a mis sur leur chemin : l’assassinat des militants, les punitions collectives, les entraves à la liberté de mouvement, les humiliations infligées aux sept cents et quelques postes de contrôle, la prolifération incessante des colonies, sans parler de la barrière de sécurité.
Comme leurs frères irakiens, les Palestiniens rêvent moins, à l’heure actuelle, de démocratie que d’autodétermination nationale. Ils veulent vivre leur vie, débarrassés de la domination et de l’occupation israéliennes. Le débat entre les Palestiniens porte essentiellement sur la question de savoir comment se libérer du joug israélien : les uns disent qu’ils n’y arriveront que par la lutte armée ; les autres plaident pour des négociations pacifiques, bien qu’ils soient conscients que les négociations passées n’ont guère donné de résultats et que Sharon fera tout pour les éviter. Le Hamas et le Djihad islamique ont décidé de boycotter l’élection pour la présidence de l’Autorité palestinienne – qu’ils rejettent, car ils y voient un produit des défunts accords d’Oslo -, mais réclament des élections municipales et législatives pour démontrer qu’ils disposent du soutien populaire et pour s’assurer une place dans une direction collective. Ils ne renonceront pas à la « lutte armée » tant qu’ils n’obtiendront pas la garantie qu’un État palestinien verra le jour. Ils veulent avoir un « horizon politique », ce que Sharon est bien décidé à ne pas leur donner.
La question clé est donc la suivante : en faisant obligation aux Palestiniens de se convertir à la « démocratie », Bush et Blair ne leur imposent-ils pas une tâche impossible et ne donnent-ils pas de facto à Sharon un feu vert pour poursuivre ses ambitions de « Grand Israël » ? Si c’est le cas, il faut s’attendre à un nouveau bain de sang.
Ou bien, au contraire, Bush et Blair tendent-ils un piège à Sharon et à la droite israélienne pour les obliger à accepter des élections palestiniennes, dans l’espoir qu’il en sortira une direction légitime capable d’exiger et de mener avec Israël des négociations pouvant aboutir à la création d’un État ?
Quelles que soient leurs croyances religieuses et leur idéologie, Bush et Blair sont des politiciens avisés. Ils savent que la seule façon de rétablir la paix au Moyen-Orient, de modérer l’islamisme international, et peut-être même de quitter l’Irak avec un semblant d’« honneur » est de progresser dans le règlement du conflit israélo-palestinien. Mais il faut y mettre les formes, pour ne pas provoquer une tempête de protestations des sulfureux amis de Sharon. Faisant écho à Bush, Blair parle de « vaincre le terrorisme par le développement de la démocratie ». Joue-t-il simplement le perroquet des néocons pour flatter Bush, ou bien est-ce une façon de progresser dans le règlement des problèmes du Moyen-Orient ? Bush dit qu’il veut améliorer ses relations avec l’Europe, où il se rendra pour le nouvel an. Condoleezza Rice est-elle une néocon ou une « modérée » ignorée, qui mettra désormais en pratique les bonnes intentions de Colin Powell ? Seul l’avenir le dira.

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