Les secrets de Pretoria

Après Gbagbo à Abidjan, Mbeki a vu Compaoré, Ouattara, Djédjé Mady et Soro chez lui. Enquête.

Publié le 22 novembre 2004 Lecture : 4 minutes.

Le président sud-africain Thabo Mbeki, mandaté par l’Union africaine pour tenter de trouver une solution à la crise ivoirienne, est un personnage complexe. Discret par nature, cultivant volontiers le mystère autour de sa personnalité, Mbeki s’est plongé dans une médiation délicate et courageuse. Il a entamé son immersion dans le « marigot » ivoirien par un entretien de trois heures, le mardi 9 novembre, avec Laurent Gbagbo, personnage qu’il n’apprécie guère et dont il avait refusé de reconnaître l’élection en octobre 2000. Il se souvient encore certainement d’un titre de une de Notre Voie, le journal du FPI : « Mbeki, l’ennemi de la Côte d’Ivoire ». Démocrate convaincu, Mbeki est également un panafricain dans l’âme, hostile à toute intervention étrangère sur le continent, défenseur de Mugabe ou d’Aristide…
Le 9 novembre, donc, Mbeki arrive à Abidjan. Sur la route menant de l’aéroport à la présidence, il voit défiler des scènes qui le choquent profondément : l’armée française dans les rues de la capitale économique, les violents heurts à proximité de la résidence du chef de l’État et de l’hôtel Ivoire, sur le pont Charles-de-Gaulle, opposant les troupes de Licorne et les « Jeunes patriotes » de Charles Blé Goudé, des cadavres, des blessés… L’entretien avec son homologue ivoirien achèvera de le déstabiliser. Gbagbo lui montre les images de la Radiotélévision ivoirienne (RTI) : les morts civils ivoiriens, la ville à feu et à sang, les stigmates des combats, les témoignages sur les « exactions » commises par les militaires français accusés d’avoir tiré à balles réelles sur des enfants, des femmes désarmées, etc.
Gbagbo lui explique également qu’il a tout mis en oeuvre pour appliquer les accords de Linas-Marcoussis et d’Accra III. Si quelques points de ces documents tardent à voir le jour, ce n’est évidemment pas de son fait. La faute en incombe aux membres du gouvernement issus des Forces nouvelles (ex-rébellion), du RDR et du PDCI, qui boycottent le Conseil des ministres… Enfin, Gbagbo lui explique qu’il n’avait d’autre choix que de tenter de réunifier son pays par la force… pour pouvoir organiser l’élection présidentielle à la date prévue (octobre 2005). Mbeki repart le jour même pour Pretoria. Extrêmement réservé, au départ, sur le cas Gbagbo, il quitte Abidjan « perturbé ».
Le dimanche 7 novembre, soit trois jours après le début des bombardements au Nord par les Fanci, Mbeki joint Alassane Dramane Ouattara (ADO), alors à Paris, par téléphone. Il lui explique qu’Olusegun Obasanjo, président en exercice de l’UA, lui a demandé de l’aider sur le dossier ivoirien et exprime le souhait de le rencontrer le jeudi 11 novembre, à Pretoria. Ouattara lui répond en substance que si Gbagbo est convié, il ne viendra pas… Mbeki le rassure et lui précise qu’il invitera également le président du PDCI, Henri Konan Bédié. Rendez-vous est pris.
Ouattara arrive à Pretoria le jeudi matin, accompagné d’Adama Toungara, maire RDR d’Abobo, dans la banlieue d’Abidjan. Il rencontre le président sud-africain le soir même. Les deux hommes sont entourés, entre autres, des ministres sud-africains des Affaires étrangères et de la Défense, Nkosazana Dlamini-Zuma et Mosiuoa Lekota, du directeur des Affaires africaines et de la conseillère juridique de Mbeki, Mojanku Gumbi. Mbeki raconte son entrevue avec Gbagbo. ADO répond « He’s a liar ! » (c’est un menteur !). Et d’expliquer, point par point, sa version des faits et, notamment, pourquoi les ministres RDR et Forces nouvelles, qui craignent pour leur sécurité, refusent de siéger au gouvernement. Dans la foulée, Mbeki reçoit Djédjé Mady, le secrétaire général du PDCI délégué par Bédié.
La version de ce dernier est quasi identique à celle de Ouattara. Le vendredi 12 novembre, les délégations du RDR et du PDCI déjeunent ensemble, après avoir travaillé pendant deux heures avec les ministres sud-africains sur les textes de référence que sont Marcoussis et Accra III. Mbeki, lui, assiste au Caire aux funérailles de Yasser Arafat. Il a demandé, avant de quitter Pretoria, des explications écrites complémentaires à Gbagbo, notamment sur l’état d’avancement de la feuille de route issue d’Accra III, dernier texte sur lequel tous les acteurs de la crise se sont entendus. Gbagbo enverra un mémo le samedi. Le président burkinabè, Blaise Compaoré, lui, est arrivé à Pretoria le samedi dans l’après-midi. Il repartira le lendemain matin pour Abuja après avoir vu son homologue sud-africain.
Le dimanche 14 novembre, Mbeki reçoit à nouveau Ouattara, en tête à tête cette fois, à 8 heures du matin. À 10 heures, ils sont rejoints par Djédjé Mady. Fin de la consultation. Où en est Mbeki ? Le démocrate a repris sa place aux côtés du panafricain. Il élabore un rapport provisoire à l’intention d’Obasanjo. Il en remettra un autre, définitif, après avoir consulté le Premier ministre ivoirien Seydou Elimane Diarra et le leader des Forces nouvelles Guillaume Soro, qu’il devait rencontrer le 20 novembre à Pretoria.

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