La guerre de l’audience

L’audiovisuel public perd du terrain quatre ans après la libéralisation des ondes. C’est ce qu’indique une étude encore confidentielle.

Publié le 22 novembre 2004 Lecture : 4 minutes.

La Radiotélévision camerounaise (CRTV) n’est plus le premier média du pays. C’est ce qui ressort d’une étude menée du 5 au 11 juillet à Douala, Yaoundé et Bafoussam par le cabinet français Delphes Communication. Ses résultats, encore tenus confidentiels, indiquent l’érosion de l’audience de la chaîne publique au profit d’autres nées de la libéralisation des ondes, il y a quatre ans. Et confirment le succès de Canal 2 et de radio Équinoxe, toutes deux basées à Douala. Le recul de la CRTV mérite néanmoins d’être nuancé : l’étude concerne trois villes et porte sur un échantillon représentatif de 937 personnes à Douala, 940 à Yaoundé et 401 à Bafoussam. Par ailleurs, toutes les radios internationales baissent en audience sauf RFI (Radio France internationale), qui maintient son leadership.
À la télévision, c’est la chaîne privée Canal 2 qui triomphe, avec 54,2 % à Douala et 54,5 % à Yaoundé, contre 36,5 % et 47,3 % pour la CRTV. Mais la télévision d’État préserve sa position à Bafoussam où elle enregistre son meilleur score (53,1 %), loin devant Canal Plus Horizons (15,9 %) et Euronews (11,4 %). Signe de sa forte pénétration, 4,2 % seulement du panel (des auditeurs et téléspectateurs âgés de 15 ans et plus) à Douala n’ont jamais regardé Canal 2. Ils sont 6,8 % à Yaoundé. De 30,9 % en 2002, Canal 2 progresse au total de vingt points (53,6 %). Une performance, trois ans à peine après son lancement. Le secret : son positionnement « musical » ; elle diffuse gratuitement les clips des artistes locaux, le tout soutenu par des magazines de société et des sitcoms faits « maison ».
Inspiré du succès des comédies burkinabè et ivoiriennes diffusées par CFI TV, le Camerounais Emmanuel Chatué, fondateur de la chaîne, en a fait l’une des clés de sa programmation. « J’ai commencé à rêver d’un Bollywood version locale », dit-il aujourd’hui pour expliquer son choix. Il salarie comédiens et jeunes réalisateurs, commande des scénarios simples sur des thèmes faciles et pleins d’humour, tournés en décor naturel avec des passants dans le rôle de figurants. Un pari payant pour une télévision qui se fait avec « les moyens du bord, selon Chatué, car les annonceurs traînent encore les pieds ».
En deux ans, la CRTV (53 % en 2002), n’a perdu que 5 points d’audience cumulée (47,9 %), ce qui constitue une belle résistance face aux plus de cent chaînes reçues d’une manière ou d’une autre au Cameroun. Troisième au classement général TV, Canal Plus Horizons stagne avec 34,3 %, suivie de RTL9 (30,6 %) qui perd dix points et sa position de leader des chaînes du câble. La chaîne musicale Trace TV n’a pas fait fructifier l’héritage de Mcm Africa puisqu’elle perd du terrain (14,5 %, contre 26 % en 2002), alors qu’Euronews (26,6 %) gagne cinq points devant TV5 (13,3 %).
Pour la radio, le schéma est tout autre. Aucune station privée ne couvre les trois villes sondées. Grâce à une riposte mieux organisée, la CRTV, avec ses trois chaînes, devance à Yaoundé RFI, seule radio internationale à préserver son audience dans les trois villes. Si le poste national est à égalité avec RFI (29,5 %), la CRTV reste en tête dans la capitale, surtout du fait de ses deux autres stations (FM94 et Radio Centre), qui portent à 53,7 % son audience cumulée. Un résultat serré, dû au format « tout info » qui séduit la forte population de fonctionnaires, nationaux et internationaux, ainsi que l’importante colonie d’étudiants présente dans cette agglomération. Selon Jean Géreau, fondateur de Delphes, qui a piloté l’étude, c’est à Yaoundé que l’on ressent avec acuité ce que les Camerounais appellent « le contrôle de l’information. On écoute une information sur la radio nationale et on se précipite sur RFI pour la vérifier ». C’est aussi ce qui justifie le score honorable d’Africa n° 1, 13,1 % d’audience. Radio Siantou, troisième au classement général, est la première station privée de Yaoundé (29,1 %), à 19 points de son concurrent traditionnel Radio Lumière (10,8 %) et bien loin de la très musicale Magic FM (7,9 %).
Le bon résultat de RTM (Real Time Music) avec 27,7 % devant Sweet Fm (12,2 %), traduit un véritable envol des radios musicales à Douala (47,7 %), devant les généralistes (34,2 %). Radio Nostalgie (4,1 %) ne trouve pas encore sa cible. Le score inédit est celui de Radio Équinoxe, première station de la capitale économique avec 42,3 % d’audience. Son format entre thématique musicale et généraliste plaît. Mais là encore, c’est la même recette que Canal 2, qui fonctionne, la rigueur en plus : une bonne dose de musique, saupoudrée d’humour et d’informations de proximité.
À Bafoussam, où elle a installé sa troisième fréquence, RFI obtient son meilleur score avec 37,5 % d’audience, mieux que la CRTV (35, 3 %). Le service public s’en sort plutôt bien grâce à Radio Poala, première à Bafoussam avec 39 %.
Dans l’ensemble, l’audiovisuel public perd du terrain, mais reste dans la course. Ce qui devrait rassurer des autorités réputées frileuses dans l’attribution de nouvelles fréquences. Quatre ans après la libéralisation du secteur, aucun dérapage majeur n’a été observé. Les nouveaux opérateurs espèrent, maintenant que l’élection présidentielle est passée, une plus grande souplesse dans le traitement du dossier par Jacques Fame Ndongo, le ministre de la Communication. La bataille de l’audience gagnée, l’audiovisuel privé camerounais peut envisager avec sérénité son prochain défi : la lutte contre l’inégalité dans l’attribution des fréquences, actuellement favorable à la CRTV. Il en a besoin pour se développer et attirer des annonceurs. Le prochain lancement des chaînes STV et radio Nostalgie, sur le satellite, annonce une grande émulation.

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