Exception médiatique

Trois journaux d’opposition, souvent fort critiques à l’égard du régime, continuent de paraître. Contre vents et marées.

Publié le 22 novembre 2004 Lecture : 3 minutes.

« Un pouvoir encore plus fermé, une opposition qui reprend espoir », « Controverse entre les ministères des Affaires étrangères tunisien et américain à propos des prisonniers politiques [en Tunisie] », « La situation matérielle des journalistes ne fait pas honneur à un pays de vieille civilisation », « Le gouvernement vend ses centrales laitières et importe du lait »… Ce sont là quelques titres d’articles fort critiques parus dans le numéro du 12 novembre de l’hebdomadaire arabophone Al-Maoukif, organe du Parti démocratique progressiste (PDP), une formation non représentée au Parlement. On trouve de même dans la dernière livraison du mensuel bilingue Attariq Aljadid (novembre 2004), organe du parti Ettajdid (trois sièges au Parlement), des commentaires peu indulgents à propos des élections présidentielle et législatives du 24 octobre : « On n’est pas sorti de l’auberge », « Des résultats qui ne reflètent pas la volonté du peuple », « Les irrégularités d’un scrutin », « Extraits des interventions interdites par la télévision »…
Leur ton relativement libre fait de ces deux journaux des exceptions dans un paysage médiatique tunisien marqué par « la mainmise du parti-État sur l’audiovisuel et sur les circuits de l’information », comme l’écrit la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’homme (LTDH) dans son dernier rapport (mai 2004). Non seulement ils existent, mais ils paraissent assez régulièrement et, surtout, sont en vente libre dans les principales villes du pays.
Mais Al-Maoukif et Attariq Aljadid, auxquels on pourrait ajouter Al-Ouahda, l’hebdomadaire du Parti de l’unité populaire (PUP, onze sièges au Parlement), dont le ton est quand même nettement moins critique à l’égard du régime, présentent un autre mérite : ils reflètent – dans les limites imposées par un dispositif législatif peu favorable à la liberté d’information et d’expression -, les activités de la société civile et les débats qui l’agitent.
Entre 1981 et 1990, sept hebdomadaires d’opposition paraissaient en Tunise. Quatre ont aujourd’hui disparu : Al-Moustaqbal, du Mouvement des démocrates socialistes (MDS, 14 députés), El-Fajr, du parti islamiste Ennahdha (interdit), Al-Badil, du Parti ouvrier communiste tunisien (POCT, interdit), et Al-Watan, de l’Union démocratique unioniste (UDU, 7 députés). Mais les survivants ne sont pas au mieux de leur forme. Après plusieurs interruptions de parution, Attariq Aljadid, par exemple, a dû réduire sa périodicité pour devenir mensuel. Il tire aujourd’hui à trois mille exemplaires. La publicité représente moins de 5 % de ses recettes, ce qui signifie que sans les subventions publiques il aurait le plus grand mal à subsister. Al-Maoukif a connu lui aussi de longues traversées du désert. Pour préserver sa régularité de parution, il a été contraint de réduire très sensiblement sa pagination (de seize à quatre pages). Cela ne l’a pas empêché, malgré son apparence très austère, d’augmenter son tirage : 3 000 exemplaires au début de 2003, 4 000 aujourd’hui. Rachid Khéchana, son rédacteur en chef, espère atteindre le seuil des 5 000 exemplaires avant la fin de l’année, grâce surtout à la vente en kiosque et à la « vente militante ».
De tous les journaux d’opposition, Al-Maoukif est le seul à ne bénéficier, ni de la subvention publique de 30 000 dinars (environ 20 000 euros) par an, ni de la compensation du prix du papier à hauteur de 60 %, ni des annonces publicitaires, appels d’offres et abonnements des institutions et sociétés publiques, souvent distribués par l’Agence tunisienne de communication extérieure (ATCE). « Conformément à la loi du 21 juillet 1997 relative au financement des partis, modifiée le 29 mars 1999, l’aide publique est limitée aux seuls partis représentés au Parlement. Ce n’est malheureusement pas le cas du PDP », explique un responsable tunisien.
« Chaque semaine, nous devons passer l’épreuve de la censure. À ce jour, nous n’avons jamais été interdits, mais les retards dans l’obtention de l’autorisation de diffuser sont fréquents », regrette Khéchana. En dépit de tous les obstacles, sa publication est aujourd’hui « légèrement bénéficiaire ».
Est-ce à dire qu’un journal d’opinion est viable en Tunisie ? Ce serait trop dire. Al-Maoukif ne doit sa survie qu’à une réduction drastique de ses coûts de fabrication : ses journalistes, par exemple, ne perçoivent pas de salaires. Et pourtant, il existe à l’évidence chez les lecteurs une forte demande en faveur d’une presse libre. En tout cas, moins alignée sur le discours officiel.

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