D’une paix l’autre ?

Réuni à Nairobi, le Conseil de sécurité considère que le traité que Khartoum et la rébellion sudiste se sont engagés à signer avant le 31 décembre réglera du même coup la crise du Darfour.

Publié le 22 novembre 2004 Lecture : 4 minutes.

Les quinze membres du Conseil de sécurité des Nations unies se sont réunis en session extraordinaire les 18 et 19 novembre à Nairobi (Kenya). À l’ordre du jour : le Soudan. En se déplaçant ainsi jusqu’aux portes du pays, ils ont voulu adresser un signal fort en direction de Khartoum et de la Sudan People’s Liberation Army (SPLA) de John Garang, les rebelles sudistes.
Premier résultat : les deux parties se sont engagées à signer un traité de paix avant le 31 décembre, pour mettre un terme définitif à une guerre qui dure maintenant depuis vingt et un ans. Le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, a exprimé l’espoir que ce traité permette également de mettre fin à l’autre guerre civile, celle qui ne dit pas son nom, mais qui ravage depuis le début de 2004 le Darfour, à l’ouest du pays, où les combats se poursuivent en dépit du cessez-le-feu signé le 8 avril 2004. Les Djanjawids, milices arabes, soutenus, bien qu’il s’en défende, par le pouvoir, continuent à en découdre avec les rebelles du Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE) et l’Armée de libération du Soudan (ALS), et, parallèlement, à s’en prendre aux populations. Il y aurait eu, à ce jour, plus de 70 000 morts, et l’on recense quelque 200 000 réfugiés dans les camps que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a installés au Tchad voisin et presque 1,5 million de personnes déplacées.
La situation humanitaire est, au fil du temps, devenue critique, mais les organisations internationales peinent à mobiliser l’opinion. Pourtant, entre février et octobre 2004, le Darfour avait fait l’objet des attentions de toute la communauté internationale. Ministres et hauts responsables en tout genre y ont défilé, jusqu’au secrétaire d’État américain Colin Powell, les 29 et 30 juin. Ce dernier avait déclaré, à son retour à Washington, qu’un génocide était en cours et avait exhorté le Congrès à prendre des mesures d’urgence… sans grand résultat. Puis il y a eu l’élection présidentielle américaine, et le Darfour est tombé dans l’oubli.
Pourtant, les témoignages sur les viols et les massacres se font de plus en plus nombreux. L’association de défense des droits de l’homme Human Rights Watch (HRW), dans un rapport paru le 15 novembre et intitulé Si nous rentrons chez nous, nous serons tués, met l’accent sur le fait que les paysans qui retournent dans leurs villages se font systématiquement attaquer et piller. L’impunité reste de mise, en dépit des déclarations du gouvernement, qui répète à l’envi que les responsables des exactions seront arrêtés et traduits en justice. L’augmentation du nombre de policiers répartis dans la région ne s’est pas traduite par une amélioration de la sécurité, les hommes n’étant pas suffisamment armés ni entraînés pour faire face efficacement aux guerriers que des mois de combats ont rendus particulièrement redoutables. « Le gouvernement soudanais continue à terroriser ses propres citoyens sous les yeux du Conseil de sécurité, tonne Peter Takirambudde, directeur exécutif Afrique de HRW. Si des mesures concrètes ne sont pas prises, le nettoyage ethnique du Darfour va continuer sous le nez des humanitaires onusiens. »
Amnesty International a joint sa voix à celle de HRW et appelé le Conseil de sécurité à mettre un frein aux achats d’armes, et par le gouvernement de Khartoum et par les rebelles. Dans son dernier rapport intitulé Qui arme les auteurs de graves violations au Darfour ?, rendu public le 16 novembre, Amnesty s’en prend directement aux pays qui fournissent le matériel militaire. Les enquêteurs ont identifié les principaux types d’armes utilisés et étudié les récents transferts d’armements vers le Soudan. Quatre des fournisseurs sont des membres permanents du Conseil de sécurité : France, Royaume-Uni, Russie et Chine.
Des avions de combat, des automitrailleuses et de l’artillerie lourde ainsi que des pièces détachées d’hélicoptères ont été fournis par la Lituanie, la Russie, la Chine et la Biélorussie, alors qu’il était déjà de notoriété publique que ces équipements servaient à bombarder des villages et soutenir les attaques terrestres contre des civils. Outre l’Iran et l’Arabie saoudite, la France et la Chine exportent depuis plusieurs années grenades, fusils, pistolets et munitions, ainsi que d’autres armes légères et de petit calibre. Amnesty International signale également que plusieurs sociétés de courtage britanniques et irlandaises ont tenté de vendre au Soudan un lot de bombardiers Antonov et des véhicules blindés provenant d’Ukraine. De plus, des programmes de formation et de coopération militaires ont été fournis par la Biélorussie, l’Inde, la Malaisie et la Russie. Le rapport note que les mines antipersonnel découvertes au Soudan en 2000 avaient été fabriquées en Belgique, en Chine, en Égypte, en Israël, en Italie, aux États-Unis et dans plusieurs pays de l’ancien bloc soviétique. Un chapitre examine enfin la façon dont le gouvernement soudanais utilise les importantes recettes de l’industrie pétrolière pour accroître ses dépenses militaires alors que, dans le même temps, la population ne jouit pas pleinement de ses droits économiques, sociaux et culturels.
Mais de cela, il n’a nullement été débattu à la réunion de Nairobi. Certains pays, comme la Bulgarie, la France, la Lituanie et le Royaume-Uni, commencent heureusement à prendre quelques mesures pour stopper leurs ventes d’armes vers le Soudan. Il y a bien une résolution 1556, du 30 juillet 2004, qui instaure un embargo sur la fourniture de matériel militaire aux « entités non gouvernementales » présentes au Soudan, mais elle ne comporte aucune directive d’application, ce qui ne la rend pas contraignante juridiquement. Les défenseurs des droits de l’homme souhaitent donc, d’une façon plus large, la mise en place d’un traité international qui interdirait les exportations d’armes vers tout pays susceptible de les utiliser pour violer les droits humains et le droit international humanitaire. Mais le Conseil a préféré subordonner la solution de la crise du Darfour à la signature du traité de paix entre Khartoum et la SPLA.

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