Présidentielle en Tunisie : quand l’affaire Karoui ravive les craintes de dérapages politiques

La détention du candidat à la présidence Nabil Karoui a renforcé les craintes de règlements de comptes, voire de retour des violences politiques en Tunisie. Si des partis appellent à moraliser la vie politique, une initiative gouvernementale en ce sens n’a pas encore abouti.

Le candidat à l’élection présidentielle tunisienne Nabil Karoui. © Khaled Nasraoui/ZUMA Press/REA

Le candidat à l’élection présidentielle tunisienne Nabil Karoui. © Khaled Nasraoui/ZUMA Press/REA

DSC_4983 copie

Publié le 12 septembre 2019 Lecture : 3 minutes.

D’abord discret, le bruissement des inquiétudes est devenu lancinant dans les couloirs des partis tunisiens. Depuis des mois, des membres de la classe politique anticipent des règlements de comptes en vue des élections. Mais tous les coups sont-ils permis ? L’arrestation du candidat à la magistrature suprême Nabil Karoui, le 23 août, juste avant le début de la campagne, renforce les craintes et alimente les incertitudes.

Beaucoup pointent du doigt la responsabilité directe ou indirecte de l’exécutif dans cette décision de justice. Youssef Chahed, le chef du gouvernement (qui a tardivement délégué ses fonctions pour préparer sa propre campagne présidentielle), s’en défend fermement.

la suite après cette publicité

Une charte d’éthique politique en suspens

Ce dernier n’avait-il pas porté en étendard, en avril dernier, le projet d’une charte d’éthique politique censée édicter les règles de bonne conduite ? Mohamed Fadhel Mahfoudh, le ministre chargé des relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et les droits de l’homme, en a été missionné et a entamé des consultations avec la société civile, les médias, les instances indépendantes et les partis. Le but : protéger les acquis démocratiques.

Les retards seraient dus aux contraintes logistiques dans l’organisation des premières consultations secteur par secteur

Mais son élaboration, censée aboutir avant la fin juillet, n’a pas été parachevée. Depuis, le ministre a démissionné pour mener campagne en vue des législatives. Le dossier a été confié à la direction générale des droits de l’homme, qui n’a pas souhaité donner suite aux questions de Jeune Afrique. Mohamed Fadhel Mahfoudh, lui, assure que le processus est en cours, et que ses anciens services assurent le principe de continuité de l’État. Il a également confié le dossier avant son départ en cogestion à l’Institut arabe des droits de l’homme pour « garantir la neutralité de l’initiative et se prémunir des tabous ». Un observatoire de la vie politique devrait même voir le jour.

Les retards seraient dus, selon lui, aux contraintes logistiques dans l’organisation des premières consultations secteur par secteur, et à la volonté d’en entamer au niveau régional, où la société civile a des problématiques propres. L’ex-ministre espère que le processus aboutira.

Violence verbale

« Il y a quelques mois, nous avons constaté que la violence verbale commençait à régner dans le paysage politique et médiatique, et nous ne souhaitons pas que ce phénomène mène à des situations défavorables pour l’exercice des droits et libertés et pour la démocratie. Il s’agit de prévenir une escalade », nous a-t-il précisé.

la suite après cette publicité

Nombre de Tunisiens ont en tête les violences politiques qui avaient marqué l’année 2013. Les députés Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi avaient été tour à tour froidement assassinés en pleine rue. L’ouverture d’internet s’est aussi accompagnée de dérives, ciblant souvent les politiques, qui dénoncent régulièrement insultes et menaces.

Face à la récente montée des soupçons, l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) a, à son tour, mis en garde contre le recours aux rumeurs, informations erronées et propagande pouvant induire les électeurs en erreur.

la suite après cette publicité

« Une campagne à scandales »

Redoutant le risque de dérapages, des partis se saisissent aussi de la thématique. Dénonçant des « dépassements », Machrou Tounes a ainsi appelé les directeurs de campagne des candidats à l’élection présidentielle à se réunir pour s’accorder sur une charte morale pour la campagne démarrée le 2 septembre et qui prendra fin le 13.

Tout le monde est d’accord pour élever le débat et se concentrer sur les questions de fond, mais personne n’a répondu à notre appel

« Tout le monde est d’accord pour élever le débat et se concentrer sur les questions de fond, mais personne n’a répondu à notre appel », regrette Slim Tlatli, directeur de campagne de Mohsen Marzouk, qui dénonce « une campagne à scandales, des attaques de personnes qui ne servent qu’à alimenter rumeurs et ragots invérifiables ». Pour lui, ce contexte fait non seulement craindre des glissements violents, mais accentue aussi la défiance des citoyens vis-à-vis des politiques. Or, la participation des électeurs sera l’un des grands enjeux des scrutins à venir.

Une énième controverse de campagne a notamment nourri les appréhensions : l’interview, diffusée le 4 septembre sur El Hiwar Ettounsi, du candidat Slim Riahi, qui dénonce une justice à charge contre lui et Nabil Karoui – et a valu à la chaîne une amende de 50 000 dinars (14 800 euros) pour « publicité et propagande au profit d’un candidat ». À cette occasion, l’Association des magistrats tunisiens a saisi le ministère public ainsi que le Conseil supérieur de la magistrature pour qu’ils enquêtent sur ces allégations.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

[Tribune] Présidentielle en Tunisie : quand la com tue le débat

[Édito] Les Tunisiens ont-ils les dirigeants qu’ils méritent ?

Contenus partenaires