Cherchez les responsables…

Comment interpréter la crise qui a secoué le pays d’Houphouët au début de novembre ? Les opinions sont pour le moins tranchées.

Publié le 24 novembre 2004 Lecture : 5 minutes.

Le syndrome rwandais
Il y a nombre de similitudes entre ce qui se passe actuellement en Côte d’Ivoire et les événements qui ont abouti au génocide rwandais. Le pays glisse dans l’anarchie, et tous les ingrédients sont réunis pour un nouveau génocide africain. Les événements au Rwanda ont commencé avec une rébellion dans le nord du pays. Des accords de paix furent signés à Arusha, en Tanzanie, en août 1993, préconisant l’arrêt des hostilités et le partage du
pouvoir entre le gouvernement et le Front patriotique rwandais, aujourd’hui au pouvoir. Mais l’application de ces accords obtenus à l’arraché ne vit jamais le jour. Le 6 avril 1994, le président Juvénal Habyarimana était assassiné, puis ce fut le meurtre de dix
Casques bleus belges et les massacres que l’on connaît. En Côte d’Ivoire, il y a eu la rébellion du Nord, les accords de paix de Marcoussis non appliqués, la formation d’un gouvernement de transition qui a volé en éclats, l’assassinat de neuf soldats français. Il ne manque qu’un seul élément, l’assassinat du président ivoirien, pour que la totalité des ingrédients du drame rwandais soit réunie. La suite serait incontrôlable et j’espère
que personne ne commettra cette erreur.

Combien d’Ivoiriens tués ?
Je suis ivoirien et j’ai vécu en direct les affrontements entre les forces Licorne et les jeunes Ivoiriens. J’ai vu certaines personnes tuées et d’autres blessées par les tirs des soldats français. Ce qui me dégoûte, c’est qu’aucun pays africains n’a eu la moindre compassion pour ces vies gâchées, comme si la haine que des dirigeants africains éprouvent pour le président ivoirien les aveuglait. Je me demande à la limite si certains n’ont pas jubilé en pensant : « Bien fait pour eux, ils n’avaient qu’à ne pas défier la France. » Aujourd’hui, c’est la Côte d’Ivoire. Demain, à qui le tour ?

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Partialité française
Je regrette le parti pris des médias français. Loin d’expliquer le mécanisme à l’origine de la crise actuelle en Côte d’Ivoire, ils insistent sur le « sentiment antifrançais » qui serait né sans raison au sein de la population ivoirienne. De nombreuses interviews ont été accordées aux ressortissants français d’Abidjan, mais nous n’avons pas vu beaucoup d’Ivoiriens s’exprimer sur les chaînes de télévision. En outre, j’ai été choqué par le ton paternaliste et les injonctions de la ministre française de la Défense envers le chef de l’État ivoirien, alors qu’aucune mise en garde du même type n’a été adressée aux rebelles. Je ne suis ni ivoirien ni pro-Gbagbo, mais il me semble que c’est une façon de choisir son camp. Enfin, pourquoi est-ce la France et non pas un autre pays, voire une coalition mandatée par l’ONU, qui aide à la résolution de la crise ivoirienne ?

Chirac aveuglé par ses passions
Le gouvernement Chirac s’enlise en Côte d’Ivoire parce qu’il traite du conflit avec passion. Son antipathie pour Gbagbo l’a amené à légitimer la rébellion et lui fait perdre le sens de la mesure en ordonnant, dans la précipitation, la destruction totale des moyens
militaires aériens de l’armée loyaliste. Cette riposte, quoique légitime, est disproportionnée et d’autant plus flagrante que lorsque des rebelles avaient tiré sur une patouille de la Licorne en zone de confiance le gouvernement français avait parlé d’éléments incontrôlés. À l’époque, seuls les rebelles incriminés avaient été écroués après enquête et procès. En outre, dans sa passion, Chirac a mis ses compatriotes en danger face à des jeunes patriotes qui n’attendaient que ça. Il a aussi donné du crédit au discours nationaliste de Gbagbo, un discours qui peut faire mouche dans une Afrique qui se cherche.

Notre pays est hospitalier
D’après Félix Houphouët-Boigny, le vrai bonheur s’apprécie lorsqu’on l’a perdu ». Je tiens à dire que nous, les Ivoiriens, sommes un peuple hospitalier, comme l’a toujours dit notre ancien président. Ceux qui demandent le départ des Européens sont très minoritaires et manipulés par le pouvoir en place. Nous avons besoin du monde entier pour nous aider à développer notre pays. Je tiens à présenter mes condoléances à tous ceux qui sont morts pour la Côte d’Ivoire Français, Américains, Africains). Que leurs âmes reposent en paix.

Où sont les dirigeants africains ?
Face à la situation tragique de la Côte d’Ivoire, nous constatons une fois de plus le mutisme coupable de nos dirigeants africains. Ils n’ont qu’un seul langage à la bouche : « Nous déplorons et nous suivons de très près la situation. » Rien de plus, alors que sur le terrain nos compatriotes africains meurent tous les jours, informations que nous ne tenons que de la presse étrangère. Il est temps pour eux de faire une déclaration solennelle à la communauté internationale. De lui dire de tout mettre en
uvre pour assurer la sécurité de tous les étrangers présents en Côte d’Ivoire. Dans les zones d’ethnie bétée, des étrangers sont exécutés. Il faut envoyer un contingent militaire afin de sécuriser ces zones. Quelle chance de dialogue voulez-vous encore accorder au régime sanguinaire de Gbagbo ? Il y a eu Marcoussis, Accra et maintenant
l’Afrique du Sud. Quoi encore ? Je suis pessimiste jusqu’à l’extrême.

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Se libérer du joug colonialiste
Alors qu’il recommandait aux Américains de ne pas agir en Irak sans l’accord de l’ONU, Chirac a agi exactement de la même façon que les États-Unis en Côte d’Ivoire. Le Premier
ministre Raffarin dit : « On ne tue pas un soldat français impunément. » Mais qui va punir la France pour les nombreux morts ivoiriens tués délibérément par ses soldats ? Après les élections de 2000, la communauté internationale a reconnu Gbagbo comme le nouveau président de la Côte d’Ivoire. Une fois au pouvoir, Gbagbo n’a pas ménagé ses efforts pour que le pays retrouve son unicité. La Côte d’Ivoire commençait à reprendre le chemin de la démocratie et le pays avait tous les atouts en main pour réussir enfin sa totale émancipation du joug néocolonialiste qui pèse encore dans la sous-région (voir le fonctionnement du franc CFA ou les différents accords de défense imposés à ces pays). La situation réelle de la Côte d’Ivoire n’a rien à voir avec celle présentée actuellement dans les médias français.

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