Ambiguïtés

Publié le 22 novembre 2004 Lecture : 4 minutes.

La crise ivoirienne paraît apaisée, mais elle n’est pas résolue, ni en voie de l’être. Elle rebondira, cela ne fait, hélas !, aucun doute.
Je voudrais profiter du répitactuel pour vous inviter à réfléchir avec moi aux facteurs qui ont été à l’origine de la crise, ont favorisé le pourrissement que nous observons et contrarié ou empêché la guérison.
J’en citerai trois et nous verrons, chemin faisant, qu’ils sont liés l’un à l’autre par un fil conducteur : l’ambiguïté.
Je suis profondément convaincu qu’on ne sortira pas la Côte d’Ivoire et l’Afrique de l’Ouest de la crise tant qu’on ne se décidera pas à s’attaquer aux équivoques et aux ambiguïtés qu’on a laissé s’instaurer.
1. L’ivoirité : ce concepta fait surface en 1995, à peine deux ans après la mort d’Houphouët, dans l’entourage d’Henri Konan Bédié.
Intronisé par Houphouët comme son successeur constitutionnel, Bédié a estimé de son devoir de recourir à l’ivoirité « pour protéger la mainmise des Baoulés, plus largement des Akans, sur le pouvoir ». C’est lui-même qui a fait cette confidence à l’un de ses amis, non sans préciser qu’il se sentait en première et en dernière analyse « le chef des Akans ».
Près de dix ans se sont écoulés, qui ont vu la chute de Bédié et un exercice agité du pouvoir par deux autres présidents : aucun d’eux n’a osé ni se réclamer de l’ivoirité ni
la renier : tout se passe donc comme si ce concept demeure la doctrine inavouée des deux successeurs de Konan Bédié.
C’est la première ambiguïté ivoirienne.
2. Côte d’Ivoire-Burkina : ces deux pays sont non seulement voisins, mais entremêlés. Une partie substantielle le quart de la population du second vit depuis des décennies
dans le premier. Ces trois à quatre millions de Burkinabè considèrent la Côte d’Ivoire, dont ils constituent 20 % à 25 % de la population, comme leur seconde patrie, un pays qu’ils ont contribué à développer, où ils possèdent des biens et dans lequel ils ont des droits.
C’est précisément ce que les trois successeurs d’Houphouët ont mis en question.
Mais aucun des trois ne s’estdonné la peine d’indiquer ce qu’il voulait changer ni de le distinguer des droits qu’il acceptait de maintenir aux Burkinabè de Côte d’Ivoire.
Cette deuxième ambiguïté a fait passer les relations entre les deux pays de la nécessaire « entente et coopération » à une suspicion permanente, aux accusations croisées
de déstabilisation.
3. Côte d’Ivoire-France : les deux pays sont liés par un accord de défense qui date de 1961, signé entre le Premier ministre français de l’époque, Michel Debré, et Houphouët.
Les successeurs de ce dernier ne l’ont ni dénoncé ni renégocié. En sont-ils satisfaits pour autant ? Estiment-ils qu’il a joué son rôle et que la France l’a convenablement
appliqué ?
Il y a tout lieu d’en douter, mais aucun d’eux ne s’est exprimé clairement sur le sujet.
Comment justifie-t-on la présence de plusieurs milliers de soldats français en Côte d’Ivoire (certains sont cantonnés dans la capitale même du pays !) de même que, par ailleurs, au Sénégal, au Gabon et à Djibouti ?
Quelle doctrine militaire fonde cette présence ? La France supporte-t-elle la charge financière de ces cantonnements dans son propre intérêt ou dans celui des pays où elle les maintient ? Ou bien encore dans celui des régimes qu’ainsi elle protège ?
Si les militaires français protègent les pouvoirs en place, où commence et où s’arrête cette protection ? Pourquoi n’a-t-elle pas joué pour empêcher la destitution d’Henri Konan Bédié ? Et pourquoi, surtout, Laurent Gbagbo s’est-il senti, au début de ce mois, plus menacé que protégé ?
Last but not least. Lorsque des avions ivoiriens bombardent un cantonnement français, tuant plusieurs soldats, que l’armée française détruit des avions ivoiriens, tuant à son tour des Ivoiriens civils et militaires, les deux pays sont-ils encore amis ou déjà adversaires ?

Cette présence militaire française ni le Royaume-Uni, ni le Portugal, autres ex-puissances coloniales, n’ont de troupes basées dans leurs anciennes colonies est ressentie par les Africains comme une pesante anomalie. Lorsque la ministre française des Armées, Michèle Alliot-Marie, s’autorise à critiquer publiquement (et de manière répétée) les décisions du président, qu’elle dit elle-même « démocratiquement élu », d’un pays africain indépendant, on se dit qu’elle se trompe d’époque.
Mais est-on indépendant quand on « héberge » de façon durable des milliers de militaires étrangers dans sa capitale ?

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S’ajoutant aux deux précédentes, cette troisième ambiguïté ferme en tout cas le triangle dans lequel se trouve enserrée la Côte d’Ivoire.
Depuis dix ans et, on peut le craindre, aussi longtemps qu’on ne s’attellera pas à les lever.

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