Une victoire à la Pyrrhus

Salué par les altermondialistes, l’échec des négociations de Cancún pourrait coûter très cher aux pays en développement.

Publié le 22 septembre 2003 Lecture : 5 minutes.

Les cris de joie poussés par les altermondialistes, le 14 septembre à Cancún (Mexique), à l’annonce de l’échec des négociations ouvertes dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur la libéralisation du commerce étaient-ils de bon aloi ? Certes, le blocage par les pays pauvres d’un des aspects les plus contestés de la mondialisation rappelle l’échec de la conférence de Seattle, en 1999, lorsqu’ils avaient, pour la première fois, refusé de discuter d’une libéralisation qui ne contribuait en rien à leur développement. Et après ? Quels sont les scénarios possibles pour un commerce international qu’aucun pays ne peut dédaigner tant la division mondiale du travail oblige à vendre à l’étranger pour pouvoir lui acheter ?
L’impasse de Seattle avait, à Doha (Qatar), en 2001, poussé l’OMC à rouvrir des négociations où il était enfin question du développement des pays peu ou pas industrialisés. Ce cycle dit « de Doha » doit arriver à son terme le 1er janvier 2005, et la conférence de Cancún était l’étape de mi-parcours où les plus gros obstacles (droits de douane, subventions à la production ou à l’exportation, réglementations excessives) au commerce devaient être levés. La conférence des ministres du Commerce des 148 États membres de l’OMC, organisée à Cancún du 10 au 14 septembre, ne se présentait pas trop mal (voir J.A.I. n° 2226). Les pays pauvres avaient remporté une victoire symbolique en obtenant de pouvoir acheter à des prix très bas des médicaments génériques pour soigner les maladies endémiques comme le sida, le paludisme ou la tuberculose ; malgré l’opposition des laboratoires pharmaceutiques américains, l’OMC était en passe de faire passer la santé avant le commerce et la rémunération des brevets.
Deuxième avancée, l’agriculture : à la demande pressante des autres pays, les États-Unis et l’Union européenne s’étaient mis d’accord sur le principe d’une réduction graduelle de leurs aides à l’agriculture, qui atteignent la somme colossale de 350 milliards de dollars par an. Il n’y avait encore ni calendrier ni chiffres précis pour cette décrue réclamée par les pays en développement, dont 70 % de la population vit de l’agriculture.
L’échec a été consommé en quatre jours. La veille de l’ouverture, le ton est donné par le « Groupe des 22 » emmené par la Chine, l’Inde et le Brésil, et qui estimait l’accord américano-européen très insuffisant. Mercredi 10 septembre, ils sont rejoints par le « Groupe des 4 » (Burkina Faso, Bénin, Mali, Tchad), qui réclame l’élimination pure et simple des subventions aux cotons américain et européen.
Jeudi, les pays importateurs nets de produits agricoles (Japon, Suisse, Corée du Sud) réunis dans un « G9 » présentent des contre-propositions. Europe et États-Unis jugent « confuses » les positions du « G22 ». Vendredi, apparaît un « Groupe des 90 » où se retrouvent les pays africains, les pays ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique) et les pays les moins avancés. Samedi, un projet de déclaration finale est publié, qui mécontente tout le monde. Les pays pauvres estiment que « la montagne a accouché d’une souris », et les pays riches que le texte est trop ambitieux… ce qui laisse espérer que les vraies négociations vont enfin commencer.
Dimanche, le G22 et le G90 refusent de discuter des droits de douane sur les produits industriels, de l’investissement, de la concurrence, de la transparence sur les marchés publics ou de la facilitation des échanges, sujets chers aux pays industrialisés, tant que ceux-ci ne diraient pas quand ils supprimeront leurs aides à l’agriculture. Constatant l’impossibilité de rapprocher les points de vue, Luis Ernesto Derbez, président mexicain de la Conférence de l’OMC, annonce la fin des discussions, à la stupeur générale.
Qui est responsable de cet échec ? La Chine, disent les Américains, qui accusent Pékin d’avoir manipulé les pays en développement pour préserver son protectionnisme. Les Américains, répond l’Union européenne, parce qu’ils ont refusé d’abandonner leur Farm Bill et les aides à leur coton. Les pays riches, clament les pauvres, parce qu’ils sont des hypocrites qui plaident pour le libéralisme quand il les sert et ne l’appliquent pas quand il les gêne. Les pays pauvres, rétorquent les riches, parce qu’ils n’ont pas compris l’intérêt de la mondialisation, qui suppose d’abandonner tout protectionnisme. Luis Ernesto Derbez, accusent les vieux routiers des négociations internationales : il n’a pas joué son rôle de supernégociateur et il a braqué les esprits par ses déclarations à l’emporte-pièce. En fait, les pays en développement campaient sur des positions que n’étaient pas disposés à entendre les pays industrialisés. D’une part, ils demandaient qu’on les laisse se protéger un petit peu des dégâts provoqués par la concurrence internationale, à l’abri de droits de douane plus élevés que ceux des pays riches, autrement dit qu’on ne les astreignent pas à rentrer dans une compétition pour laquelle ils se sentent mal armés. D’autre part, ils exigeaient que les pays développés disent, dès Cancún, quand et comment ils cesseraient d’aider leur agriculture. L’attitude condescendante, voire humiliante, de ceux-ci a poussé à la révolte des gouvernements réputés libéraux comme ceux du Sénégal, de Maurice ou du Kenya, au soulagement du millier d’ONG accréditées qui les poussaient à refuser un accord « inéquitable ».
Et maintenant ? Les pessimistes pensent, comme Pascal Lamy, le commissaire européen au commerce, que les États-Unis prendront prétexte de cet échec et de leur élection présidentielle en 2004 pour signer des accords bilatéraux avec une vingtaine de pays. À ce petit jeu – que l’Union européenne pourrait pratiquer elle aussi -, les pays en développement seront les grands perdants, car ils sont en position de faiblesse dans le cadre d’un donnant-donnant.
Les optimistes, comme le Comité français pour la solidarité internationale (CFSI), veulent voir dans ces péripéties la preuve éclatante que le sacro-saint marché et la mondialisation ne fonctionnent pas et qu’il est urgent de les encadrer avec des règles qui conviennent aussi aux pays les moins développés.
Les réalistes pensent que les négociations vont reprendre à Genève, au siège de l’OMC, d’ici à la fin de l’année, et que des accords se feront inévitablement. Quand ? Nul ne le sait. Comment ? Dans la douleur, évidemment.

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