Turbulences au sol

Accusée d’une présence inopportune et gênante, une société privée chargée du contrôle des documents de voyage à l’aéroport de Dakar riposte.

Publié le 22 septembre 2003 Lecture : 3 minutes.

Enième épisode dans le bras de fer qui oppose la Société française de sécurité et de protection (Sofrasep, prestataire de services d’Air France, chargée du contrôle des documents de voyage sur la plate-forme de l’aéroport Léopold-Sédar-Senghor de Dakar) aux travailleurs de l’aéroport et employés des compagnies aériennes et agences de voyages. Le 27 novembre prochain se tiendra le procès en diffamation intenté par la Sofrasep contre Samba Alex Ndiaye, un des responsables d’Air France et du Syndicat unique du transport aérien du Sénégal (SUTAS). Également poursuivis, les journaux dakarois Sud et Témoin, pour avoir publié l’interview incriminée de Ndiaye. Lequel s’est fait le porte-voix des employés de l’aéroport, des compagnies aériennes et des agences de voyages, qui ne cessent de crier leur ras-le-bol : la Sofrasep, et son patron Paul Gamard, sont trop présents.
Chargée de vérifier l’authenticité des passeports et visas des voyageurs à l’embarquement, la société française a de facto pris le dessus sur les services de police et de douane de l’aéroport. Ses employés interviennent en effet en amont et en aval de la police nationale : une première fois avant l’enregistrement du passager et une seconde à la porte de l’avion. Résultat, la décision d’autoriser ou non un voyageur à embarquer lui revient. Et tous les autres maillons de la chaîne ont des griefs contre la société. Les passagers se plaignent du manque de courtoisie de ses agents et de leurs méthodes de contrôle. Les compagnies aériennes déplorent les retards que les multiples vérifications imposent à leurs vols. À titre indicatif, le « surcontrôle » des documents de voyage cause, en moyenne, trente à quarante-cinq minutes de retard sur les vols au départ de Dakar. Quant à la police de l’air locale, elle se sent court- circuitée et dessaisie de ses prérogatives.
Depuis quelques semaines, une pétition circule à l’aéroport, réclamant le départ de la société, accompagnée de menaces pressantes de grève générale des employés du transport aérien. Comme pour exacerber un peu plus le sentiment de révolte, un incident est survenu le 19 août 2003. Un enfant de 8 ans, Ousmane Bagayogo, né en France de parents immigrés établis à Mantes-la-Jolie et voyageant seul avec un passeport français sur un vol Air France, a été interpellé par la Sofrasep sur le tarmac, puis gardé à la brigade de gendarmerie de l’aéroport de 21 heures à 3 heures du matin. Traité comme un émigrant « clandestin », l’enfant en est sorti traumatisé. Il n’a pu regagner la France que le 4 septembre, deux jours après la rentrée des classes. Le 28 août, son père, Dramane Bagayogo, a soumis au parquet de Dakar une plainte contre Paul Gamard.
Depuis son arrivée au Sénégal, au début de l’année 1998, la Sofrasep n’a cessé de traverser des zones de turbulences. Le 15 juin de la même année, Ibrahima Diouck, directeur de cabinet de Tidiane Sylla, ministre du Transport aérien de l’époque, lui refusait l’agrément. Invoquant des raisons de souveraineté, les autorités lui notifiaient, dans une correspondance référencée 1438MTTA, que le contrôle par une société privée de documents de voyage sur la plate-forme des aéroports du Sénégal était contraire aux lois du pays. Une réponse négative qui ne l’a pas empêchée d’opérer jusqu’en 2000. L’alternance survenue, la Direction de l’aviation civile met fin aux activités de la Sofrasep, par la note 0351/METTA/DAC/D du 6 avril 2001. Pour le plus grand bonheur de la police de l’air sénégalaise, des émigrés et du personnel des compagnies aériennes.
Au lendemain du limogeage du Premier ministre Moustapha Niasse, le 3 mars 2001, la Sofrasep reprend ses activités sous Youssou Sakho, nouveau ministre des Transports dans le gouvernement de Mame Madior Bhoye, qui estime « combler un vide juridique » en donnant le feu vert à la société française. De retour à l’aéroport, Paul Gamard subit l’assaut de ses nombreux détracteurs qui l’accusent d’outrepasser ses activités de sécurité documentaire, d’intervenir dans le domaine de la sûreté, d’exploiter son personnel mal payé… Toutes choses pour lesquelles, indiquent certains, la Sofrasep a été chassée de l’aéroport de Bamako par Amadou Toumani Touré, dès son arrivée au pouvoir. Le président sénégalais Abdoulaye Wade, d’ordinaire si prompt à réagir, est-il au fait des griefs reprochés à Paul Gamard et à ses agents ?

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