Tayssir Allouni, le journaliste qui en savait trop

Interpellé le 5 septembre, le reporter d’Al-Jazira a été inculpé par le juge Baltasar Garzón pour ses liens présumés avec la cellule locale d’el-Qaïda.

Publié le 22 septembre 2003 Lecture : 3 minutes.

Le journaliste espagnol d’origine syrienne, Tayssir Allouni, 56 ans, correspondant d’Al-Jazira en Afghanistan, en 2001, et en Irak, en 2003, qui s’est rendu célèbre en réalisant l’une des rares interviews d’Oussama Ben Laden, et en diffusant, depuis son bureau de Kaboul, la première vidéo de celui-ci après les attentats du 11 septembre 2001, est-il membre d’el-Qaïda, comme le prétend le juge espagnol Baltasar Garzón, ou « journaliste et seulement journaliste », comme le soutiennent la plupart de ses collègues ?
Difficile, au stade actuel de l’enquête, de trancher cette question qui déborde le cadre strictement judiciaire pour revêtir un caractère politique. « Si un journaliste commet un délit, au nom de quoi ne devrait-il pas être poursuivi ? » disent les responsables espagnols. « À de nombreuses reprises, des journalistes occidentaux ont pris langue avec des organisations clandestines sans être jamais inquiétés. Pourquoi un journaliste arabe n’aurait-il pas ce droit ? » s’interroge le Tunisien Mohamed Krichène, journaliste vedette d’Al-Jazira. Qui balaie d’un revers de main les accusations contre son collègue : « Les preuves avancées ne tiennent pas la route. »
Selon les autorités judiciaires espagnoles, Allouni aurait servi de courroie de transmission entre la base afghane d’el-Qaïda et ses agents en Europe. Il aurait même transmis des messages de Ben Laden, convoyé des fonds pour le compte de l’organisation pendant la guerre d’Afghanistan et pris part aux activités d’une cellule espagnole d’el-Qaïda démantelée en novembre 2001.
En réponse à ces accusations, les responsables d’Al-Jazira affirment que l’Espagne a subi des pressions des États-Unis et d’Israël. Lesquels se sont souvent plaints de la chaîne qatarie pour sa couverture, jugée tendancieuse, de la guerre en Afghanistan, en Irak et dans les Territoires occupés. Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls dans ce cas. Certains pays arabes n’ont pas laissé passer l’occasion d’égratigner la chaîne pour ses liens présumés avec les mouvements intégristes. Ce climat de confusion n’aide pas, on s’en doute, au triomphe de la vérité. Mais revenons aux faits…
Le 5 septembre, Allouni est arrêté à son domicile d’Alfacar, un petit village proche de Grenade, au sud de l’Espagne, où il vit avec son épouse, Fatma, une Espagnole musulmane originaire de Ceuta, et ses quatre enfants. Trois jours plus tard, il est interrogé, à Madrid, par le juge Garzón sur ses liens supposés avec el-Qaïda. L’interrogatoire, qui dure plus de trois heures, se déroule en présence d’un avocat délégué par la Fédération des associations de presse en Espagne (FAPE), qui estime qu’il s’agit là d’« une affaire dans laquelle peuvent entrer en jeu des questions aussi graves que la liberté d’expression, les sources professionnelles, les droits du public ».
Accusé d’avoir eu une conversation téléphonique avec Mohamed Atta, le chef des kamikazes du 11 septembre, et d’entretenir des liens avec la cellule hambourgeoise d’el-Qaïda, le journaliste nie en bloc, déclarant ne connaître aucun terroriste, « qu’il soit mort, en fuite, ou en prison ». Allouni reconnaît en revanche avoir aidé financièrement, entre 1995 et 1999, « par devoir humanitaire et par solidarité », certaines personnes soupçonnées d’avoir fréquenté les camps d’entraînement d’el-Qaïda en Afghanistan, en Tchétchénie ou en Turquie. Mais où finit le « devoir de solidarité » et où commence la « collaboration avec une organisation armée » ?
L’accusation publique, qui affirme alors ne disposer que « d’indices de collaboration avec une bande terroriste », demande de prolonger la détention préventive de soixante-douze heures. Le journaliste est alors incarcéré à la prison de Soto del Real, situé à 37 km au nord de Madrid. Le 11 septembre, alors que la défense espérait une libération, à tout le moins conditionnelle, le juge décide, après un second interrogatoire, de maintenir Allouni en détention, sans possibilité de caution, pour un supplément d’informations. Avant de l’inculper, le 18 septembre, avec trente et un autres membres présumés d’el-Qaïda.

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