Shaul Mofaz

Faucon caricatural qui ne croit qu’à la force, le ministre israélien de la Défense a une idée fixe : éliminer au plus vite Yasser Arafat.

Publié le 22 septembre 2003 Lecture : 6 minutes.

Ce n’est pas un génie militaire, ni même un grand chef d’opération. Et moins encore un intellectuel. Mais Shaul Mofaz, le ministre israélien de la Défense, qui plaide à Washington pour l’expulsion de Yasser Arafat – après avoir, en conseil de cabinet, prôné jusqu’à son assassinat – est l’homme qui pourrait, éventuellement, succéder à Ariel Sharon après l’avoir emporté sur son rival, Benyamin Netanyahou : ce qui marquerait, pour l’État juif, une nouvelle dégradation de la vie politique. Car si Sharon, par exemple, a bâti sa carrière sur ses « exploits » guerriers – Warrior : c’est le titre de ses mémoires -, il n’en a pas moins, à sa façon, quelque embryon de pensée politique. Mofaz, en revanche, sans véritable exploit à son actif, est une sorte de faucon caricatural qui ne croit qu’à la force.
Né en Iran en 1948, puis venu en Israël avec sa famille à l’âge de 9 ans, Shaul Mofaz appartient, comme le président de l’État Moshe Katsav, ou le commandant en chef de l’aviation, le général Dan Haloutz, à ce qu’on nomme le « clan des Perses » : ce qui traduit plus une fraternité sentimentale, mais parfois utile, qu’une orientation politique. Shaul, pour sa part, qui n’adhérera jamais à aucun parti, entre dans l’armée dès l’âge de 18 ans et participe en 1967 à la guerre des Six Jours comme parachutiste dans le Néguev.
C’est le début d’une ascension strictement militaire qui voit le jeune commando, petit à petit, monter en grade pour devenir successivement chef d’une brigade d’infanterie en 1982, lors de l’opération « Paix en Galilée », puis brigadier-général en 1988, major-général en 1994, enfin seizième chef d’état-major général en 1998, contre l’avis de l’état-major, d’ailleurs, qui avait poussé la candidature de Matan Vilnaï. « Ce n’est pas un idéologue, commentera un observateur occidental à Tel-Aviv, mais un militaire froid qui ne comprend que les rapports de force. Un hyperdur, qui surestime sans doute ses capacités et qui, sans vision stratégique, se satisfait de gains à très court terme. »
De fait, comme chef d’état-major, il ne tarde pas à illustrer ce jugement. Dès septembre 1998, trois mois après sa nomination, alors que le Premier ministre Benyamin Netanyahou commence à redouter une victoire travailliste, il convoque les officiers supérieurs de Tsahal et leur demande de « se préparer au combat. « Car, explique-t-il, une guerre difficile va éclater dans la région, probablement en octobre 1999, et durera plus longtemps que les précédentes. » C’est en septembre 2000, en réalité, que se déclenche la seconde Intifada, Ehoud Barak étant au pouvoir. Et tout aussitôt, Shaul Mofaz se fait l’avocat – et l’agent – d’une répression sans complexe. On rapporte même que le Premier ministre a dû lui interdire, à un certain moment, de tirer des missiles sur les Palestiniens sans une autorisation écrite de sa part. « Et pour un deuxième missile, il faudra aussi une deuxième signature ? » aurait-il insolemment demandé. « Oui, aurait répondu, furieux, Ehoud Barak : mon autorisation à chaque fois. »
L’arrivée au pouvoir d’Ariel Sharon, en mars 2001, lui permet de donner toute sa mesure. Dès mars 2002, répondant à une intensification de la seconde Intifada, il envoie des milliers de soldats en Cisjordanie et lance notamment, contre le camp palestinien de Jénine, un assaut si meurtrier qu’il provoquera l’accusation de « massacre », non confirmée cependant par une enquête des Nations unies. Dans le même temps, il réduit en ruines le quartier général, à Ramallah, du président Yasser Arafat. Puis, en juillet, pour assassiner à Gaza un dirigeant islamiste, il écrase un pâté d’immeubles sous une bombe d’une tonne, tuant quatorze civils du même coup.
Autant de démonstrations de force qui, apparemment, séduisent suffisamment l’homme de Sabra et Chatila pour l’amener, en novembre 2002, à faire de Shaul Mofaz son ministre de la Défense.
Dès lors, le « faucon perse », qui participait déjà, comme chef d’état-major, à toutes les réunions « sécuritaires » du cabinet, va déployer ses efforts sur deux terrains : militaire et politique, avec la même brutalité à courte vue.
Sur le premier, il met systématiquement en oeuvre une campagne d’« assassinats ciblés » dont le résultat principal est une spirale d’attentats et de représailles que nul ne parvient à maîtriser. Tandis que le Premier ministre palestinien Mahmoud Abbas avait difficilement négocié, le 29 juin, une trêve des attentats avec le Hamas et le Djihad islamique, il s’emploie délibérément à la briser.
Le 14 août, sans autre motif que sa volonté d’en découdre, alors que les Palestiniens respectent pleinement le cessez-le-feu, il fait assassiner à Hébron Mohamed Sider, un haut responsable du Djihad en Cisjordanie : une initiative critiquée ouvertement par l’ex-président du Parti travailliste Amram Mitzna et condamné comme « une provocation » par le ministre palestinien chargé de la Sécurité, Mohamed Dahlan, qui rencontre aussitôt Shaul Mofaz pendant quatre heures pour tenter de sauver la trêve, mais sans résultat.
La riposte, dès lors, ne tarde pas : le 19 août, un kamikaze se fait exploser à Jérusalem dans un autobus de Juifs ultrareligieux, causant la mort de vingt-deux personnes. Un attentat exceptionnellement sanglant qui servira de prétexte à de nouveaux meurtres ciblés, dont la vaine tentative d’assassinat, le 6 septembre, de Cheikh Ahmed Yassine, chef spirituel du Hamas, par une bombe de 250 kilos lâchée par un F-16 sur la maison de Gaza où il s’entretenait avec d’autres responsables du Hamas : une décision désapprouvée même par le successeur de Mofaz à la tête de l’état-major, le général Moshe Ya’alon, qui ne passe pourtant pas pour une colombe. Ce qui provoquera à son tour le double attentat suicide du 9 septembre, au prix de quinze morts. Dernier en date des épisodes de ce cycle infernal : le meurtre à Doura, près d’Hébron, le 16 septembre, d’un responsable local du Djihad, Madjid Abou Dosh, suivi, comme d’habitude, de la destruction au bulldozer de sa maison familiale.
Soit une politique aussi cruelle – avec ses « victimes collatérales » – qu’absurde, dénoncée notamment par l’ancien chef du Mossad, Ephraïm Halévy. Comme le souligne en effet dans Ha’aretz Danny Rubinstein, les jeunes kamikazes n’ont pas besoin, pour agir, des chefs nationaux ou locaux du Hamas ou du Djihad. La décision d’agir leur appartient : « Un attentat suicide est un acte simple et bon marché. Il requiert des connaissances minimales en chimie et en électricité. Une ceinture explosive ne coûte que quelques dizaines de shekels, et il n’est pas difficile de se rendre au site choisi quand 200 000 colons de Cisjordanie franchisent tous les jours la « ligne verte ». »
Mais peu importe à Shaul Mofaz, qui ne veut pas entendre parler de trêve. Quand, le 16 septembre encore, le conseiller à la sécurité de Yasser Arafat, Jibril Rajoub, a proposé officiellement un « cessez-le-feu général, pour arrêter les attaques de part et d’autre afin de retourner à la table des négociations », le cabinet israélien, à la demande du ministre de la Défense, a rejeté l’offre sans même essayer de la discuter, au motif qu’elle s’expliquerait par la menace d’expulsion de Yasser Arafat.
Et, de fait, cette expulsion, voire l’élimination physique du président palestinien, est l’autre idée fixe de Shaul Mofaz, qui prêche en ce sens depuis des années. « Je pense qu’Israël a fait une erreur historique en ne se débarrassant pas de Yasser Arafat il y a près de deux ans, déclarait-il encore le 2 septembre à la radio de Tsahal. À l’avenir, nous aurons à étudier très vite cette question, peut-être même très probablement cette année. » Un « point de vue » qu’il ne manquera pas de confirmer à l’ambassadeur américain David Kurtzer avant de s’envoler pour Washington, où il le répétera. Shaul Mofaz n’a pas beaucoup d’idées, mais il y tient.

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