Quand Kagamé parle français

Surprise, lors de la cérémonie d’investiture du chef de l’État, le 12 septembre.

Publié le 22 septembre 2003 Lecture : 3 minutes.

Cinquante mille Rwandais ont pris place, ce vendredi 12 septembre, dans les gradins du stade Amahoro, dans le quartier populaire de Remera. Et ils ne sont pas peu fiers. Pour la première fois depuis le génocide de 1994 (1 million de morts), un brillant aréopage a fait le déplacement de Kigali. Il y a là pas moins de neuf chefs d’État étrangers : ceux d’Afrique du Sud, du Burundi, du Burkina, de Djibouti, d’Éthiopie, du Malawi, du Mozambique, du Nigeria et d’Ouganda. Mais aussi trois vice-présidents, ceux de RDC (Zahidi Ngoma et Azarias Ruberwa) et celui de Tanzanie ; deux Premiers ministres (Gabon et Swaziland) ; et un président de Parlement (Cameroun). Tout ce joli monde assiste à une parade militaire organisée à l’occasion de l’investiture de Paul Kagamé à la présidence de la République. Soudain, un bruit infernal retentit. Surprise, l’assistance lève la tête. Une patrouille de six hélicoptères de combat MI-8 passe à basse altitude. Les appareils arborent les couleurs rwandaises…
L’élection de Kagamé, le 25 août, a mis fin à une longue période de transition commencée au lendemain du génocide de 1994, de la chute (et de l’assassinat) de feu le président Habyarimana et de l’arrivée au pouvoir, à l’issue d’une rébellion victorieuse, du Front patriotique rwandais (FPR). Son investiture était donc bien davantage qu’une simple cérémonie protocolaire. C’est, en réalité, une page de l’histoire rwandaise qui vient de se tourner.
Depuis neuf ans, l’ex-chef de guerre a amplement démontré ses qualités d’homme d’État. Il est notamment parvenu, vaille que vaille, à raccommoder un tissu social déchiré par les tueries de 1994 et à mettre en place une Assemblée constituante. Sur le plan extérieur, il a également fait la preuve de ses talents de négociateur. Dans le conflit en RD Congo, il est parvenu à conclure avec le président Joseph Kabila, le 31 juillet de l’an dernier, à Pretoria, un accord qui laisse augurer le retour de la paix.
Lors de son investiture, le chef de l’État s’est naturellement adressé à ses compatriotes en kinyarwanda, la langue officielle du pays. Pourtant, à la surprise générale, il a tenu à prononcer une (petite) partie de son allocution en français, langue parlée par environ la moitié des Rwandais, mais que lui-même maîtrise fort mal (il suit actuellement des cours). C’était la première fois qu’il s’exprimait en public dans la langue de Molière.
Bien sûr, ce louable effort était censé illustrer sa volonté de promouvoir la réconciliation nationale. Mais pas uniquement. Car le passage prononcé en français contenait un avertissement à l’adresse de ceux qui, « s’autoproclamant experts du Rwanda », accusent le FPR de tirer un profit politique du génocide et de ne pas respecter la volonté populaire. Si les relations franco-rwandaises sont aujourd’hui presque normalisées, Kigali est loin d’avoir oublié la passivité des soldats de l’opération Turquoise, lors du génocide de 1994. Et pas davantage l’hostilité ouverte de la majorité des médias français à l’égard de Kagamé et de son régime.
Le 12 septembre, la consécration du chef de l’État a donc été totale. Dans la tribune officielle avaient pris place, outre l’imposante délégation étrangère, les chefs des dix partis politiques légaux. Alivera Mukabaramba, candidate à la présidentielle avant de se retirer – en appelant à voter Kagamé -, était là. En fait, seul Faustin Twagiramungu a boudé la cérémonie. Il est vrai que l’ancien Premier ministre a longtemps contesté la régularité du récent scrutin. Mais il atenu à adresser ses félicitations à Kagamé et a reconnu sa capacité à poursuivre la reconstruction. De bon augure pour la suite.

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