Prise de conscience

L’épidémie est la première cause de décès en Afrique du Sud. Après avoir longtemps nié l’évidence, Thabo Mbeki semble disposé à relancer la lutte.

Publié le 22 septembre 2003 Lecture : 3 minutes.

L’avenir de l’Afrique du Sud dépend grandement d’un infiniment petit : le virus de l’immunodéficience humaine, le VIH, qui est à l’origine du sida. « C’est la plus grave menace qui pèse sur nous », déclarait Nelson Mandela en février 2002. Le « père de la nation » ajoutait : « C’est une guerre. Elle a fait plus de victimes chez nous que toutes les guerres de notre histoire et toutes les catastrophes naturelles que nous avons connues. »
L’épidémie de VIH-sida est en effet, en 2003, la première cause de décès en Afrique du Sud. L’espérance de vie est tombée de 62 ans en 1994 à 51 ans aujourd’hui. 20,1 % des adultes de 15 à 49 ans, soit 4,7 millions, sur une population totale de quelque 44 millions d’habitants, sont actuellement porteurs du virus.
L’épidémie pèse non seulement sur la démographie, mais aussi sur l’économie. Dès 2000, une étude indiquait que la croissance de l’économie serait, d’ici à 2005, de 0,3 % inférieure à ce qu’elle aurait été sans le sida. Une autre estimait à 1 % la baisse du taux de croissance du Produit intérieur brut (PIB) par habitant et par an d’ici à 2010. À des postes exigeant une longue formation, de grandes entreprises engagent deux ou trois salariés, de peur d’être prises au dépourvu…
La situation a atteint ce caractère de gravité en bonne partie parce que le président Thabo Mbeki et sa ministre de la Santé, Manto Tshabalala-Msimang, se sont obstinés pendant des années à nier l’évidence – à savoir la responsabilité du virus – et ont refusé d’engager une véritable lutte contre la maladie, malgré les relances de Mandela, les pressions d’une partie du Congrès national africain (ANC) et de l’association Treatment Action Campagne (TAC), présidée par Zackie Achmat.
Un tournant paraît s’amorcer ces derniers mois. Symboliquement, la première étape a été franchie en mai 2001 à Pretoria quand les trente-neuf firmes pharmaceutiques qui avaient intenté un procès au gouvernement sud-africain pour violation de la législation concernant les médicaments antisida ont retiré leur plainte sous la pression de l’opinion publique mondiale, la TAC en tête. Dès lors, la porte s’ouvrait à une baisse spectaculaire du prix des antirétroviraux. Nouveau pas en avant important au début de ce mois de septembre : sur l’insistance de l’Afrique du Sud, du Brésil, de l’Inde et du Kenya, les États-Unis ont levé leur opposition à l’accord signé en novembre 2001 à Doha (Qatar), à la IVe Conférence de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur les droits de propriété intellectuelle. Ils ont admis que cet accord « ne devait pas empêcher les pays membres de prendre des mesures pour protéger la santé publique. » C’était autoriser certains pays à importer des versions génériques des antirétroviraux.
En août, le gouvernement sud-africain a adopté un programme national de lutte antisida. Thabo Mbeki lui-même semble venu à résipiscence. En août également, il a signé personnellement avec le Fonds mondial des Nations unies pour la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme un accord aux termes duquel Pretoria accepte de recevoir du Fonds, sur deux ans, 41 millions de dollars (36 millions d’euros) qui seront consacrés au traitement et à la prévention de la tuberculose et du sida. « Un signal d’espoir pour tous les Africains qui se battent contre cette pandémie fatale », dit Richard Feachem, le directeur général du Fonds. La stratégie adoptée pour mettre les antirétroviraux à la disposition du public devrait être annoncée à la fin de septembre. Ira-t-on, comme au Botswana voisin, jusqu’à la distribution gratuite ?
Zackie Achmat et la TAC ont déjà lancé un TAC Treatment Project, qui, en attendant que les antirétroviraux « officiels » soient disponibles, en proposeraient en privé. Une cinquantaine de séropositifs pourraient en profiter très rapidement, et un millier à la fin de l’année. Le prix mensuel du traitement serait de 600 à 800 rands (de 73 à 96 euros). Les médicaments seraient soit des génériques, soit des princeps, selon le prix d’achat.
Contrairement aux propos malheureux tenus en 2001 par le directeur de l’Agence pour le développement international, aux États-Unis, et selon lesquels les antirétroviraux ne pourraient pas « fonctionner » en Afrique parce que les Africains ne savent pas lire l’heure, une enquête menée en Afrique du Sud même, au Botswana, en Ouganda et au Sénégal montre que sur le continent 90 % de séropositifs prennent régulièrement leurs médicaments, contre 70 % en Amérique. L’espoir est donc permis. Mais dans le meilleur des cas, la « guerre » évoquée par Mandela ne peut être que longue et difficile.

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