[Tribune] Présidentielle en Tunisie : nos candidats, ces super-héros
Les événements qui se précipitent, la course électorale qui s’accélère, avec ses multiples coups de théâtre, donnent aux Tunisiens la sensation d’assister à la première d’une fiction incroyable qui mêle, de manière aussi improbable qu’exceptionnelle, des moments dignes des « comics » américains.
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Frida Dahmani
Frida Dahmani est correspondante en Tunisie de Jeune Afrique.
Publié le 10 septembre 2019 Lecture : 3 minutes.
L’arrestation rocambolesque sur une autoroute de l’un des favoris pour le scrutin présidentiel, Nabil Karoui, donne le ton d’une situation aussi surréaliste qu’inédite. Pour les démunis qu’il défend, il est Robin des bois qu’on emprisonne. Face à ce justicier autoproclamé, une foule de rivaux : des bons et des plus coriaces, qui ont en commun de posséder chacun leur propre recette magique pour sauver la Tunisie.
On est loin des « marabouts qui veillaient sur la Tunisie » qu’évoquait le général Rachid Ammar en quittant ses fonctions en 2013. Oubliées les références aux traditions locales, place aux postures inspirées de la mythologie revue à la sauce Marvel et DC comics ! En campagne, les postulants à Carthage semblent tous avoir endossé les costumes de super-héros… sans toutefois en avoir les super pouvoirs, dont ils auraient pourtant bien besoin pour survivre à une campagne électorale presque surhumaine, tant il faut parer aux coups souvent les plus bas.
Casting éclectique
Au casting du blockbuster électoral tunisien, la néo-amazone Abir Moussi, qu’aucun contre-argument ne réussit à abattre, enfile les habits de Wonder Woman. Elle s’oppose à un Abdelfattah Mourou, candidat du parti Ennahdha, aux allures d’un Batman sorti de sa retraite, et rivalise avec Youssef Chahed, l’ancien chef du gouvernement parti en campagne dans les habits de Superman – sans en posséder lui non plus les pouvoirs, mais qui pour certains est plutôt un intrigant comme Lex Luthor.
Abdelkrim Zbidi endosse le costume de Captain Tunisia, mais ne fait pas pour autant partie des leaders de l’équipe des Avengers tunisiens
Dans le rôle du héros patriote, l’indépendant et ancien ministre de la Défense Abdelkrim Zbidi endosse le costume de Captain Tunisia, mais ne fait pas pour autant partie des leaders de l’équipe des Avengers (littéralement vengeurs) tunisiens, constituée de l’intransigeant Mohamed Abbou, Iron Man de la post-révolution, de Hamma Hammami, qui s’improvise Spider-Man sans que ses filins n’agrippent sur le monolithe politique, ou encore de Mongi Rahoui, qui prend la stature de Thor dans la bataille épique qui anime la gauche tunisienne.
Faisant course dans le peloton de tête, l’énigmatique juriste Kaïs Saïed semble avoir la faculté de disparaître comme Mandrake. Il serait presque un anti-héros, tant il affiche une normalité atone. À l’opposé, Slim Riahi joue les Fantômas, traîne des affaires en justice et souhaite apparaître sous forme d’hologramme, comme l’ex-candidat à l’élection présidentielle française Jean-Luc Mélenchon.
Dure réalité
Contrairement à la solidarité qui prévaut entre certains super-héros, aucun des challengers pour Carthage n’a cependant accepté de se désister en faveur d’un autre. Les ambitions sont ancrées, dévoilées et suivies en images par les médias. Même s’il est flatteur d’être l’objet de toute cette attention, la Tunisie n’en demande sans doute pas tant. Elle n’est plus dans le romantisme post-révolutionnaire, et n’attend pas l’arrivée d’un preux chevalier providentiel : elle a besoin d’une figure qui remette de l’ordre dans la maison et fasse redémarrer la machine.
Un technicien plutôt qu’un super-héros ? Autant changer de gamme et faire appel à MacGyver. Dans tous les cas, les sagas du box office inspirées des comics, tout aussi mythiques quelles soient, demeurent des fictions. La projection sur grand écran de la politique tunisienne n’en est pas une, mais elle est bel et bien une réalité. On attend des Tunisiens, le 15 septembre, qu’ils soient scénaristes de leur destin. Voudront-ils raconter une histoire de super-héros, ou simplement que la leur soit entendue ?
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