L’ombre du 16 mai

Quatre mois après les attentats terroristes de Casablanca, l’épisode meurtrier continue à marquer la politique intérieure et extérieure du royaume.

Publié le 22 septembre 2003 Lecture : 3 minutes.

Quatre mois après les terribles attentats terroristes du 16 mai, tout ou presque au Maroc continue de se vivre à l’aune de ce traumatisme majeur. Premier exemple : les municipales du 12 septembre. Elles auraient dû être, pour les islamistes modérés, l’occasion annoncée de transformer – et d’assumer – l’essai des législatives de novembre 2002. Le raz-de-marée des « barbus » du Parti de la justice et du développement (PJD) était à ce point assuré que les sécurocrates de l’entourage royal songeaient sérieusement à repousser sine die la date des élections, le temps que la pluie, par exemple, ôte quelques voix décisives aux militants du docteur Khattib. Le 16 mai a bouleversé la donne. Très intelligemment, le PJD a négocié avec le pouvoir son autorégulation, retiré nombre de ses candidats et communiqué abondamment sur sa volonté de ne pas « choquer » l’opinion internationale. Résultat concret : les islamistes ont fait un tabac dans la plupart des municipalités où ils se sont présentés (essentiellement dans les villes moyennes), au point que, pour la plupart des observateurs, leur score réel, nonobstant leur restriction volontaire survenue après le 16 mai, aurait été quatre fois plus élevé.
Deuxième exemple : l’assassinat les 11 et 13 septembre de deux juifs marocains à Casablanca et à Meknès, le premier à coups de colt 45 et le second à coups de couteau. À tout le moins dans le cas d’Albert Rebibo, un marchand de bois de 55 ans abattu de trois balles à bout portant et en plein jour dans un souk populaire de la capitale économique, l’implication des islamistes radicaux de la Salafia Jihadia – ceux qui ont frappé le 16 mai – est avérée. Cette affaire, tout comme l’arrestation début septembre de deux jumelles de 13 ans, les soeurs Laghrissi, suffisamment endoctrinées pour avoir projeté de jouer les kamikazes dans une grande surface de Rabat, démontre qu’en dépit du millier d’arrestations opérées par la police depuis quatre mois, le vivier terroriste est loin d’être asséché. L’ombre du 16 mai n’a d’ailleurs cessé de planer tout au long du très médiatique procès de Pierre Richard Robert, « l’émir aux yeux bleus ». Même s’il n’a pas participé aux attentats, ce salafiste français en est profondément marqué, ne serait-ce que parce que l’action sanglante de ses camarades de Casablanca a en quelque sorte dérangé ses plans, lui qui voulait créer un foco de guérilla dans le Rif.
Robert avait-il réellement travaillé, à la fin des années 1990, pour les services français, ainsi qu’il l’a affirmé au procès ? Ces derniers ont démenti, offusqués à l’idée qu’un tel Pied Nickelé puisse avoir retenu leur attention. Selon des sources très proches de l’enquête cependant, l’islamiste a fait cet « aveu », dès le lendemain de son arrestation, aux policiers marocains, lesquels tiennent pour quasiment acquis son rôle passé de stringer pour le compte de la DST française, voire de petit pigiste infiltré au Maroc pour celui de la DGSE – avant d’échapper à ses commanditaires.
Comme un assemblage de poupées russes, le 16 mai conditionne in fine une bonne part de la politique extérieure du royaume. Pour effacer ce qu’il faut bien appeler l’échec de la diplomatie marocaine au Conseil de sécurité des Nations unies à propos du Sahara occidental, le roi Mohammed VI, de passage à Paris à la mi-septembre sur le chemin de l’Assemblée générale de l’ONU, puis d’une rencontre avec George Bush, à Washington, compte bien mettre en avant le rôle joué par le Maroc sur le front de la guerre (américaine) contre le terrorisme. Persuadé, sans doute à juste titre, que son rejet du plan « Baker III » de règlement de l’affaire saharienne a été très peu apprécié au département d’État, Rabat s’est en outre récemment efforcé d’envoyer en direction de Washington des signaux positifs sur un dossier particulièrement sensible : le Proche-Orient. La pression américaine sur le Maroc – ainsi que sur la Tunisie – en faveur d’un rapprochement entre ces deux pays du Maghreb et Israël est permanente et a même pris ces derniers temps l’allure d’une injonction.
En recevant, début septembre, le ministre israélien des Affaires étrangères Sylvain Shalom, Mohammed VI a donc fait un geste pour le moins apprécié aux États-Unis. Ces derniers renverront-ils l’ascenseur à propos du Sahara, dont le cas sera de nouveau examiné fin octobre au Conseil de sécurité ? C’est possible et cet échange de bons procédés n’est pas sans rappeler la stratégie diplomatique longtemps suivie avec une certaine maestria par Hassan II. Reste que tout cela n’est pas sans risques. À défaut de matière endogène, ce qui reste des réseaux terroristes au Maroc cherchera en effet inévitablement dans tout pas en direction d’Israël de quoi nourrir son fanatisme, alimenter son recrutement et « justifier » d’autres 16 mai.

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