Islamistes BCBG

Publié le 22 septembre 2003 Lecture : 3 minutes.

Après un discret passage dans le centre du quartier de l’Agdal Ryad à Rabat, le docteur Réda Benkhaldoun, tête de liste du Parti de la justice et du développement (PJD) dans cet arrondissement, file toutes vitres ouvertes vers le quartier de Guich Oudaya. « C’est un
autre pays », déclare le candidat du seul parti islamiste autorisé en ouvrant sa portière. Des allées sableuses de ce bidonville dépourvu d’eau courante, on aperçoit les villas cossues du centre de l’Agdal Ryad. Barbe rasée de près, costume impeccable, Réda Benkhaldoun s’enfonce dans les profondeurs de cet improbable village, bavardant avec des femmes auxquelles s’accrochent des enfants déguenillés. Porte après porte, accompagné de ses collaborateurs, tous cadres d’entreprise ou médecins, il distribue ses tracts. Une
vieille femme occupée à recoudre de vieux vêtements s’esclaffe en apercevant la lanterne qui orne ses prospectus électoraux. « Vous allez nous apporter la lumière ? demandet-elle. Parce qu’ici nous n’avons pas l’électricité. »
Visiblement, les gens ont entendu parler du médecin, mais lui ne connaît pas bien le quartier. Qu’à cela ne tienne, les élections municipales du 12 septembre approchent, et il faut battre campagne. D’autant que les quartiers populaires sont en général acquis aux
islamistes. Évoquant un autre arrondissement de Rabat dans lequel le PJD est en lice, Réda Benkhaldoun en convient. Aïcha Bakhat, candidate sur la liste du docteur Benkhaldoun,
cadre au sein de la Redal (filiale de Vivendi), explique doctement que se présenter dans les quartiers bourgeois de Rabat que sont Souissi et l’Agdal Ryad constitue un « défi pour le parti ». Et c’est vrai que les candidats de la liste menée par Réda Benkhaldoun semblent plus à l’aise avec les habitants des maisonnettes de tôle du quartier de Guich Oudaya que parmi les clients du centre de l’Agdal nonchalamment attablés aux terrasses
des cafés.
Au siège du PJD, calés dans des fauteuils de cuir noir, les barons du parti se défendent de l’image qui leur colle à la peau. « Il est faux de penser que seuls les quartiers
populaires votent pour nous », s’exclame le vice-président du groupe parlementaire du parti, Lahcen Daoudi. Pourtant, évoquant les attaques menées contre le parti à longueur de pages dans les journaux francophones, il avoue : « Nous avons quelques problèmes au niveau des élites francophones. » Les résultats parlent d’eux-mêmes. À Rabat, quatre des huit sièges décrochés proviennent des votes recueillis à El-Mansour, le plus populaire des trois arrondissements dans lesquels le PJD présentait des candidats.
Contrairement aux apparences, la performance réalisée par les islamistes quatre mois à peine après les attentats de Casablanca est à la hauteur de leurs attentes. Dans la métropole économique marocaine elle-même, leurs candidats arrivent en tête, ex æquo avec ceux de l’Union socialiste des forces populaires, dans les huit arrondissements où ils étaient présents. Pour un mouvement qui a failli ne pas se présenter suite à la condamnation de Younès Ousalah, ancien trésorier du parti à Kénitra, à trente ans de prison pour participation aux attentats du mois de mai, les résultats ne sont pas si mauvais. Abandonnés par une partie de leurs candidats « sous la pression des autorités », selon Saâd Dine Othmani, secrétaire général du PJD, les dirigeants du parti se sont
réorganisés rapidement. Ils ont décidé de réduire au maximum le nombre de candidats, de ne pas en présenter hors des villes et de recentrer le discours sur la bonne gouvernance
et la réduction des fractures sociales.
Les 593 élus PJD ne représentent pas grand-chose sur un total de 23 000 conseillers. « Mais si vous établissez un rapport entre le nombre de sièges et le nombre de candidats, analyse Saâd Dine Othmani, nous figurons parmi les vainqueurs. »
Que cache cette modération du PJD ? « Nous avons un peu forcé la dose avec l’islam, nous allons nous adoucir », promettait le docteur Benkhaldoun dans la foulée du vote par le Parlement de la loi antiterroriste le 21 mai. Acculés au compromis par les attentats du 16 mai, les islamistes pourraient rapidement montrer un autre visage. La prochaine
échéance électorale révélera certainement la nature réelle de leurs ambitions.

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