[Tribune] L’Afrique peut aider à mettre fin à la guerre au Yémen
La Corne de l’Afrique n’obtiendra ni stabilité ni sécurité sans que la paix et la lutte contre l’impunité ne soient assurées au Yémen.
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Radhya Al-Mutawakel
Co-fondatrice et présidente de Mwatana for Human Rights, une organisation indépendante de défense des droits humains au Yémen.
Publié le 16 septembre 2019 Lecture : 3 minutes.
Mon pays, le Yémen, partage avec l’Afrique bien plus que les eaux de la mer Rouge et du golfe d’Aden. Nos destins sont liés par une histoire séculaire de migrations, de relations commerciales et diplomatiques qui nous engage pour l’avenir. Pourtant, cette relation d’amitié est devenue conflictuelle ces dernières années, lorsque plusieurs pays d’Afrique se sont retrouvés mêlés à la guerre dévastatrice au Yémen.
Des forces soudanaises ont combattu aux côtés de groupes yéménites soutenus par la coalition menée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Assab, en Érythrée, abrite une base militaire émiratie, d’où ont été lancées des frappes aériennes au Yémen ; des forces yéménites accusées de torture y ont été formées ; des prisonniers y sont transférés. Djibouti accueille également une base militaire saoudienne. Des navires égyptiens, quant à eux, ont participé au blocus de la coalition qui a aggravé la crise humanitaire au Yémen.
Ces pays se sont laissé entraîner dans une guerre que les experts militaires considèrent comme impossible à gagner. En 2015, l’Arabie saoudite et les Émirats avaient promis une offensive éclair pour déloger le groupe armé des Houthis de la capitale Sanaa. Près de cinq ans plus tard, aucune issue ne se dessine.
Des Africains victimes
Une étude de l’ONU estime que la guerre aura causé la mort de plus de 230 000 Yéménites d’ici à la fin de l’année, tandis que 24 millions de personnes – 80% de la population – dépendent de l’aide humanitaire pour survivre. Des ONG de défense des droits humains comme mon organisation, Mwatana, ainsi que le Groupe d’éminents experts de l’ONU, ont documenté des frappes aériennes illégales, des attaques sur des civils et des cas de torture, de recrutements d’enfants soldats et d’entraves à l’aide humanitaire.
Mwatana a enquêté, par exemple, sur des frappes aériennes de la coalition qui ont détruit quatre bateaux de pêche l’année dernière, à quelques dizaines de kilomètres des côtes africaines. Sept pêcheurs, qui ne cherchaient qu’à nourrir leur famille, ont été tués. Dans ce cas comme dans tant d’autres, la coalition n’a pas mené d’enquête crédible, ni dédommagé les proches des victimes.
Ces violations généralisées commises en toute impunité contre les civils au Yémen risquent d’alimenter le cynisme à l’égard des droits humains
De nombreux Africains sont eux aussi victimes de la guerre au Yémen. En 2017, la coalition a attaqué en mer près de 150 Somaliens, faisant des dizaines de morts et blessés. Environ 150 000 migrants d’Afrique de l’Est ont aussi rejoint le Yémen en 2018, en quête d’une vie meilleure dans les pays du Golfe. Nombreux sont les cas de torture et de violences sexuelles perpétrées dans des centres de détention au Yémen, ou d’exploitation par des réseaux de trafiquants.
Ces violations généralisées commises en toute impunité contre les civils au Yémen risquent d’alimenter le cynisme à l’égard des droits humains. Sauf si les gouvernements du monde entier, notamment africains, prennent clairement position pour défendre ces droits.
Complicité
Les pays africains membres de la coalition, en particulier l’Égypte et le Soudan, devraient se retirer. Le message de paix le plus clair consiste à refuser de se battre. Ceux qui offrent un soutien logistique à la coalition, comme l’Érythrée, devraient s’opposer à ce que des attaques au Yémen soit commises à partir de leur territoire. Ne pas le faire, c’est risquer d’être complice d’attaques illégales.
Ce mois-ci, le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU se prononcera sur le renouvellement du Groupe d’éminents experts sur le Yémen. Cet organe, créé en 2017 pour enquêter sur les violations commises par toutes les parties au conflit, offre la meilleure chance que justice soit faite pour les millions de victimes.
Les États africains membres du Conseil des droits de l’Homme – l’Afrique du Sud, le Burkina Faso, le Cameroun, le Rwanda, le Sénégal et le Togo – ont l’occasion de démontrer leur soutien à la paix et à la sécurité non seulement au Yémen, mais aussi en Afrique de l’Est.
Les violations des droits humains et l’impunité sur les deux rives de la mer Rouge ont trop longtemps miné la stabilité de la région. En soutenant le renouvellement et le renforcement du mandat du Groupe d’éminents experts sur le Yémen, les pays africains peuvent contribuer à écrire un nouveau chapitre de l’histoire que l’Afrique partage avec le Yémen, un chapitre fondé sur le respect mutuel des droits de tous nos peuples.
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