Histoire d’un putsch éclair

Dans la nuit du 13 au 14 septembre, un groupe d’officiers dépose le président Kumba Yala.En une demi-heure de temps et sans tirer le moindre coup de feu.

Publié le 22 septembre 2003 Lecture : 4 minutes.

C’est une déclaration du Premier ministre Mario Pires qui a décidé le groupe de vingt-cinq officiers du Comité militaire de restauration de l’ordre constitutionnel et de la démocratie à déposer, dans la nuit du 13 au 14 septembre, le président Kumba Yala.
Le 4 septembre, le chef du gouvernement déclarait en effet que « si le Parti pour la
rénovation sociale [PRS, au pouvoir] ne remporte pas les législatives du 12 octobre, le pays connaîtra des troubles ». Des officiers des différents corps entreprennent alors des concertations secrètes. Objectif : mettre un terme au mandat du chef de l’État en évitant toute velléité de résistance de sa part afin que le pays ne sombre pas une nouvelle fois dans la guerre.

En dix jours, la stratégie est ficelée : on « recrute » des hommes dignes de confiance parmi les militaires. Mis au parfum, les services de renseignements acceptent de jouer la partition qui leur est confiée. Ils parviennent, en invoquant des raisons de sécurité, à
convaincre Kumba Yala de rester à Bissau et de ne pas se rendre à Bula, son village, où il a l’habitude de passer la plupart de ses weekends. Il est 3 heures du matin dans la nuit du 13 au 14 septembre quand un groupe de militaires se présente au palais de la République.
« Monsieur le Président, des troubles se préparent dans le pays. Pour votre sécurité, nous avons été chargés de vous conduire à l’état-major général des armées », explique le chef du commando à Kumba Yala. Dehors, tout est calme. Un petit crachin accompagne le
cortège. À 3 h 30, le président est déjà à l’état-major, à l’autre bout de la ville. Tout y est prêt pour l’accueillir : une chambre située au premier étage du bâtiment principal, du vin et ses cigarettes favorites. Il en grille nerveusement plusieurs. Se doute-t-il qu’il vient d’être déposé ? En tout cas, les officiers cherchent à le rassurer : « Ne vous faites aucun souci, nous contrôlons la situation », ne cessent-ils de lui répéter, cependant qu’un dispositif militaire finit de se déployer dans la capitale.
Après avoir connu le coup d’État le plus long de l’histoire du continent presque un an : une rébellion qui éclata en juin 1998 et finit par la chute du président João Bernardo Vieira en mai 1999 , le pays est cette fois le théâtre d’un putsch éclair à peine une demi-heure et pacifique. Pas un seul coup de feu n’est tiré.
La population apprendra la nouvelle à la radio qui diffuse un communiqué lu par le commandant Unduta Zamora. Le chef de l’État sénégalais Abdoulaye Wade est prévenu plus tôt par téléphone, à 6 heures du matin. Sans doute les putschistes entendent-ils le rassurer puisqu’il fait face en Casamance, dans le sud de son pays, à une rébellion qui compte de solides soutiens à Bissau, désormais aux mains d’un comité militaire de vingt-cinq membres. Tous les corps d’armée y sont représentés ainsi que tous les groupes ethniques. Mais cela, Kumba Yala l’ignore encore. Il est privé de téléphone et de radio. Dans la journée du dimanche, trouvant le temps long et les explications de ses hôtes de plus en plus embarrassées, il leur lance, impatient : « Appelez le ministre de l’Intérieur, il pourra nous renseigner sur la situation. » Ils font mine d’obtempérer, sans plus.
« Nous étions en train de préparer son domicile privé dans la quartier de Bairou
International, d’y mettre en place un dispositif de sécurité », nous confie un officier.
Dans la nuit du dimanche au lundi, Kumba Yala y est discrètement transféré. L’officier qui lui annonce le coup d’État est surpris de l’entendre demander dans quel pays c’est du moins l’anecdote qui court à Bissau, toujours friand de bons mots. Mais quand on l’invite à enlever ses fétiches et autres gris-gris, et qu’on lui apprend que le chef d’état-major des armées, le général Verissimo Seabra Correia, a décidé de l’écarter du
pouvoir, d’organiser une transition dans un « délai raisonnable », l’homme au bonnet rouge
doit se rendre à l’évidence.

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Le roi est nu. Mais très peu de Bissauguinéens le regretteront, en tout cas pas les fonctionnaires qui sont restés neuf mois sans traitement. Passé l’euphorie qui a suivi l’accession de Yala au pouvoir, le 16 janvier 2000, les Bissauguinéens ont vite déchanté devant ses méthodes (voir encadré ci-dessous).
La délégation des ministres des Affaires étrangères de la Communauté économique des États
de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) arrivée à Bissau peu après le putsch s’est retrouvée
partagée entre la défense de la légalité et le soulagement que constitue la chute de Yala. Idem pour les chefs d’État du Ghana, du Nigeria et du Sénégal, qui ont fait le déplacement dans la capitale bissauguinéenne. D’autant que Kumba Yala déclare renoncer
« volontairement » au pouvoir : « Dans l’intérêt supérieur de la nation […], je décide
de renoncer à mon poste de président de la République, au nom de l’unité nationale et pour la paix […]. Je demande que soit formé immédiatement un gouvernement civil d’unité nationale de transition et que soient organisées des élections générales selon un calendrier consensuel. » Le président en exercice de la CEDEAO, le Ghanéen John Kufuor, a
estimé que la période de transition pourrait durer « au moins deux ans ».

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