De Paris à Maputo

Un jeune homme sans qualités fuit vers l’Afrique. Premier roman, désenchanté, d’Alexandre Kauffmann.

Publié le 22 septembre 2003 Lecture : 3 minutes.

L’exil. La solitude. La peur. L’horreur. Les défauts de la ville-refuge sautent toujours aux yeux d’un homme qui a dû fuir son pays. À sa mémoire reviennent inlassablement les charmes de la vie d’avant, et dans son âme perturbée se mélangent toutes les raisons de sa fuite.
À Paris, le narrateur du premier roman d’Alexandre Kauffmann est un antihéros. Désabusé, cynique, sans passion ni véritable amour, il boit. « Je buvais avec Fako, dans un café aux lumières bleues, près du Bataclan. » C’est ainsi que s’ouvre Le Faux-Fuyant, roman-polar d’un auteur qui, malgré son jeune âge, a déjà fait ses preuves en décrochant le prix Alexandre-Vialatte en 2001 pour Mauvais numéro, un recueil de nouvelles dont l’action se situe à Madagascar. Dans Le Faux-Fuyant, c’est sur l’autre rive du canal du Mozambique que le narrateur va devenir un héros.
Après s’être battu avec un hurluberlu mal luné devant lequel il a eu le malheur de traverser le boulevard Richard-Lenoir, près de la Bastille, il échappe aux policiers grâce à l’intervention de sa petite amie, Amália. Obligé de fuir la capitale française, le jeune homme se retrouve dans un avion pour Maputo, via Johannesburg. C’est la jeune femme qui a eu l’idée de l’envoyer en Afrique, chez son oncle, pour échapper à la prison qui l’attend si les flics l’arrêtent.
L’histoire du narrateur et d’Amália n’est ni tendre ni jolie. Une histoire sans histoire, où l’on vit ensemble pour ne pas rester seul. Une génération sans illusion, diraient les politiques. « Un petit jouisseur sans envergure », disait de temps à autre le père du narrateur. Arrivé dans la capitale mozambicaine, le narrateur découvre Luis Matule, un « broussard », raciste et dédaigneux, aussi paranoïaque aujourd’hui qu’il a pu être menaçant quelques années auparavant. Matule, qui se noie dans le « mazout », mélange subtil de bière et de Coca-Cola, est le prototype du mercenaire blanc, qui ne sait plus vivre ailleurs que dans ces villes africaines qu’il hait. Il ne peut plus fuir pour échapper à son destin, mais c’est bel et bien lui qui s’est greffé ces plombs qui scotchent ses pieds au sol mozambicain.
On rencontre aussi Gito, le simplet, les filles du bar d’en face, et les touristes « backpackers » qui traînent leurs guêtres dans le hall de l’hôtel de Matule, où le narrateur a trouvé un travail. Un petit monde se forme autour de l’exilé, un monde sans charme, où tout rappelle, en négatif, la vie qu’il a quittée. « Paris me manquait. Je me suis souvenu de la place de la République, de ses parcs, des statues grises, des quais du canal Saint-Martin où je pouvais marcher l’esprit tranquille, des brasseries ouvertes sur l’avenue Philippe-Auguste. Je songeais au tournoi des yeux disputés dans le métro parisien. Soutenir le regard des usagers sans perdre la face. C’est un jeu facile à condition de bien choisir ses adversaires. Les vieux, les femmes seules, les hommes aux épaules étroites. Certaines proies sont trompeuses. Les enfants en bas âge peuvent soutenir sans gêne le regard d’un inconnu. Je ne me livrerai plus au tournoi des yeux. Je ne reverrai plus le métro parisien. À Maputo, mon regard est fuyant. »
À Maputo, d’ailleurs, tout est question de vie ou de mort. Les tournois ne se mènent plus seulement avec les yeux, mais à grand renfort d’intimidation et de poignards.
Avec beaucoup d’intelligence, Alexandre Kauffmann raconte ces solitudes qui se rencontrent. Décrivant aussi bien le quartier de la Bastille que la Baixa, il nous plonge dans l’atmosphère inquiétante d’une vie qu’on n’a pas choisie. Avec un surprenant dénouement – qui vaut à lui seul la lecture du roman -, Alexandre Kauffmann confirme ses talents de romancier. On espère une seule chose : qu’il reparte vite sur le continent africain pour nous raconter de nouvelles histoires.

Le Faux-Fuyant, d’Alexandre Kauffmann, Arléa, 168 pp., 14 euros.

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