Business équitable

Le gouvernement a mis en place un arsenal législatif pour inciter au partage des richesses entre les communautés.

Publié le 22 septembre 2003 Lecture : 5 minutes.

Le projet de loi sur le Black Economic Empowerment (BEE) a enfin été adopté, le 3 septembre. L’instrument de la politique du gouvernement de Thabo Mbeki, à savoir mettre en place un cadre législatif et des mesures incitatives pour que les Noirs obtiennent l’égalité économique après avoir gagné l’égalité politique, s’est fait attendre. Et l’approche de l’élection présidentielle d’avril 2004 accentue davantage encore le caractère d’urgence d’un débat qui dure maintenant depuis plus d’un an. Les Sud-Africains espèrent beaucoup de la bataille où se sont engagés leurs dirigeants. Et peut-être en premier lieu que soit enfin appliqué l’un des principes fondamentaux de la Constitution, adoptée en 1996 : « Afin de promouvoir l’égalité, des mesures doivent être prises pour protéger ou améliorer la condition des personnes, ou des catégories de personnes, désavantagées par une discrimination injuste. »
Il est vrai qu’il est temps de rééquilibrer la balance : les Noirs, qui représentent 70 % de la population, contrôlent moins de 3 % des entreprises cotées à la Bourse de Johannesburg, les grands patrons noirs se comptent sur les doigts de la main et le chômage touche plus de 40 % de cette communauté, quand la moyenne nationale se situe à 29 %. « Les gens qui possèdent doivent donner à ceux qui n’ont pas, explique Vulkile Mehana, spécialiste du BEE au sein de la banque ABSA. S’ils ne le font pas, il faut leur prendre. Le BEE, c’est le transfert de l’argent, des capacités et des capitaux intellectuels. » Le message est clair : la réforme de l’économie héritée de l’apartheid ne se fera pas toute seule. Il faut lui donner un coup de pouce et, surtout, la soutenir face à une communauté internationale qui doute toujours des capacités économiques du pays. Entre violence quotidienne et tensions raciales, l’Afrique du Sud doit encore prendre garde à l’image qu’elle projette à l’étranger pour ne pas refroidir les investisseurs potentiels. D’autant que « Mbeki mise sur le secteur privé et les privatisations pour favoriser le retour à l’équité », explique Reg Rumney, de la Fondation Business Map.
En octobre 2002, une charte de bonne conduite a été signée entre le patronat, les syndicats et le gouvernement. Mais les 100 milliards de rands (10,3 milliards d’euros) qui doivent permettre aux entreprises noires de racheter les actions des mines afin de contrôler 26 % du secteur d’ici à dix ans, ainsi que le prévoit la charte, devront être mobilisés dans les fondations et les banques, même si le gouvernement a annoncé une participation de 10 milliards de rands sur cinq ans.
Cette fois, des précautions seront prises pour éviter les écueils rencontrés lors de premières tentatives de promotion économique en faveur des Noirs. Dès 1996, les autorités avaient tenté de mettre en place des mesures incitant les entreprises à vendre leurs parts à des sociétés noires. Des entrepreneurs, qui n’avaient pas forcément eu la possibilité de recevoir une formation adéquate pour cause d’apartheid, ont alors racheté ces actions au prix fort, contractant des emprunts lourds. Surfant sur la bulle Internet, cette première approche du BEE semblait pouvoir s’imposer d’elle-même, sans encadrement législatif. Mais les répercussions de la crise asiatique de 1998 et l’effondrement du cours du rand ont entamé la détermination de ces pionniers. Leurs parts sont devenues sans valeur, pas leurs dettes… Au final, ce sont les Blancs ayant racheté ces entreprises qui ont profité de la première vague du BEE.
« Cette fois, ce sera différent, estime Azar Jammine, du bureau d’études Econometrix. La Bourse est moins forte, et les gens ont retenu la leçon. » La charte minière prévoit par exemple qu’une entreprise « BEE » qui aura échoué ne pourra être reprise que par d’autres Noirs. La politique générale en la matière, qui sera votée par le Parlement, tient aussi à faire en sorte que toute la population soit concernée, et pas seulement une élite. Ainsi, on n’incitera plus seulement les entreprises à transférer leur capital, mais sera adopté un système de vérification (scorecard) comprenant plusieurs critères : la sous-traitance d’activités à des entreprises « noires », le pourcentage des employés noirs, métis ou appartenant à une minorité, etc. Bref, un certificat de « bonne conduite ». « Et puis les banques ne prêteront plus aussi facilement, ajoute Dipak Patel, PDG de Stannic, une des filiales de la Standard Bank. Elles feront des études préalables pour savoir à qui elles s’adressent, cela afin d’éviter la prise de contrôle d’entreprises par des gens qui n’ont pas reçu de formation de direction et de gestion. »
C’est justement là un des obstacles auxquels est confronté le BEE : le faible nombre de Noirs capables de diriger une entreprise puisqu’ils n’ont pas eu la chance de poursuivre des études universitaires. Aujourd’hui encore, ils sont deux fois moins nombreux que les Blancs à sortir de l’université avec un diplôme en poche. Jusqu’à présent, les rares PDG à avoir pu profiter des incitations du BEE sont d’anciens brillants activistes de l’African National Congress, des politiques accomplis et influents, à l’image d’un Cyril Ramaphosa ou d’un Tokyo Sexwale. Ce qui fait encore douter certains que le BEE nouvelle mouture puisse toucher toutes les couches de la population. « Les 100 milliards de rands nécessaires pour financer le BEE tel que prévu par la charte minière auraient pu être mieux utilisés dans le système éducatif », estime Azar Jammine.
Conscients des critiques formulées à l’égard du BEE, les analystes rappellent qu’il ne faut pas en sous-estimer le symbole : créer des millionnaires noirs en Afrique du Sud est aussi très important. La charte minière n’est peut-être pas complètement satisfaisante, mais elle va dans le bon sens. « Tous les secteurs doivent donc avoir des chartes », avait déclaré Robinson Ramaite, le directeur général de l’administration et du service public, en octobre 2002. Ce ne sera finalement pas le cas. Aujourd’hui, seuls les secteurs pétrolier et minier s’en sont dotés, et ils ne seront imités que par le secteur bancaire. Pour les autres, seules les entreprises travaillant avec le gouvernement devront rédiger des chartes de ce type. Les banquiers prévoient de sortir la leur d’ici à la fin de l’année. C’est d’autant plus urgent que « le BEE est un impératif, souligne Vulkile Mehana. Les Noirs sont nombreux, ils représentent un marché non négligeable ». L’égalité est un enjeu majeur en Afrique du Sud. Et surtout, business is business…

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