Bouteflika et la presse : chronique d’un désamour

Le chef de l’État a longtemps toléré les critiques et même les excès des journaux. La donne a changé à l’approche de la présidentielle de 2004.

Publié le 22 septembre 2003 Lecture : 3 minutes.

Entre Abdelaziz Bouteflika et la presse algérienne, c’est une longue histoire d’incompréhension. Ses derniers rebondissements ont mené à l’interpellation, le 16 septembre, du directeur du Soir d’Algérie, Fouad Boughanem, ainsi que d’une dizaine de journalistes qui s’étaient rassemblés pour l’occasion devant le commissariat central d’Alger. Sans oublier l’arrestation, une semaine auparavant, de Mohamed Benchicou, directeur du quotidien Le Matin, ainsi que du caricaturiste de Liberté, Ali Dilem. Les autorités leur reprochent des articles (ou des dessins) portant atteinte à l’image du chef de l’État ou de son entourage immédiat. Une accusation à laquelle les intéressés – entre-temps relâchés – refusent de répondre devant la police : seule la justice, affirment-ils, est en droit de leur demander des comptes.
Tout commence le 14 août. Les directions de six quotidiens indépendants, les plus critiques à l’égard du gouvernement, sont informées qu’elles ont jusqu’au 18 août pour s’acquitter de leurs créances auprès des trois imprimeries d’État. Le Matin, Le Soir d’Algérie, Liberté, L’Expression, Er Raï et El Khabar ont donc trois jours pour réunir 8,5 millions d’euros sous peine de ne plus être imprimés. « Nous avons fini par payer, raconte Farid Alilat, le tout nouveau directeur de Liberté, lui aussi déféré, le 16 septembre, devant le parquet. Mais cette mise en demeure constituait une violation de l’accord qui nous liait aux imprimeries : nous avons habituellement soixante jours pour les payer ; cette fois, nous avons dû nous acquitter, à la mi-août, de factures dont nos contrats disaient bien que nous avions jusqu’au 31 septembre pour les régler. » S’ils ont cédé, affirme Alilat, c’est uniquement « pour ne pas faire le jeu des autorités qui voulaient nous empêcher de reparaître ».
Lorsqu’il arrive au pouvoir en 1999, Abdelaziz Bouteflika assure qu’il respectera la liberté d’expression. « La presse, martèle-t-il à l’époque, est totalement libre de dire ce qu’elle veut. Aucun journal ne sera suspendu, aucun journaliste ne sera arrêté. » Tous, à Alger, se souviennent de cette promesse. Parmi eux, Farid Alilat, de Liberté : « Bouteflika s’est d’abord fait le défenseur de la liberté de la presse, même lorsque celle-ci le prenait à partie. Aujourd’hui, la donne a changé : il n’est plus chef de l’État, mais candidat à l’élection présidentielle de 2004. »
C’est la méthode employée, plus que les scandales supposés dont se délectent les journaux depuis le début de l’été, qui risquent de ternir l’image du pouvoir. Un professeur d’université, qui préfère taire son identité, estime que la situation actuelle aurait pu être évitée : « La presse sort des scandales ? Il suffit d’apporter des démentis et, quand cela n’est pas possible, on coupe les branches pourries, même les plus proches du pouvoir, martèle-t-il. Tout plutôt que ce à quoi on est arrivé ! » Lui admet pourtant que la presse algérienne porte une part de responsabilité : « Elle est jeune, manifeste parfois un évident manque de professionnalisme, et l’opacité de la gestion gouvernementale n’encourage pas à recouper les informations. Mais ses faiblesses ne sauraient justifier les méthodes employées. »
Seulement voilà, murmure-t-on à Alger, le président n’est pas toujours bien conseillé. « Les autorités tentent encore de manipuler la presse et l’opinion publique quand elles devraient apprendre à les gérer, explique Arslan Chikhaoui, consultant en communication. La manipulation, tout comme la répression, sont des moyens qui datent d’il y a au moins trente ans. » Bouteflika, président d’une autre époque ? Sans aucun doute, répond Mohamed Benchicou. Comment expliquer, sinon, que « les autorités espèrent encore intimider une presse que le terrorisme n’a pas réussi à faire céder »? De cette « résistance pendant les années les plus noires », la presse tire aujourd’hui une partie de sa légitimité et de sa détermination. Et c’est parce que « les conditions de sécurité » se sont globalement améliorées que les journaux peuvent à présent reporter toute leur attention sur le jeu politique.
Reste que les autorités semblent fort peu goûter ce transfert d’intérêt. D’autant, assure-t-on à Alger, que le président n’accorde traditionnellement aux médias nationaux que peu de considération. Eux en veulent pour preuve le fait que Bouteflika ne leur a accordé, depuis son arrivée au pouvoir, aucune interview, alors qu’il n’a cessé d’en donner à la presse étrangère. « C’est une erreur grave, conclut le professeur d’université, parce que la presse recherche elle aussi la considération. » Ce qu’elle n’a certainement pas trouvé dans le qualificatif peu enviable de « commères de hammam » dont Bouteflika l’a autrefois affublée. Cela aussi, les journalistes ont bien du mal à le lui pardonner.

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