[Tribune] Au Sahel, il faut que la peur change de camp

À l’issue de son sommet à Ouagadougou, samedi 14 septembre, la Cedeao a décidé de se doter d’un plan d’action à un milliard de dollars pour contrer les jihadistes. Depuis la fin de l’opération Serval au Mali, en 2014, les réunions internationales sur la situation sécuritaire au Sahel s’enchaînent à un rythme impressionnant sans que la tendance ne (re)devienne favorable aux États de la région et à leurs armées. Bien au contraire.

Quartier général de la force conjointe G5 Sahel basée à Sévaré, en octobre 2017. © Flickr / MINUSMA/Harandane Dicko

Quartier général de la force conjointe G5 Sahel basée à Sévaré, en octobre 2017. © Flickr / MINUSMA/Harandane Dicko

PADONOU-Oswald
  • Oswald Padonou

    Docteur en sciences politiques. Enseignant et chercheur en relations internationales et études de sécurité

Publié le 16 septembre 2019 Lecture : 4 minutes.

Les chefs d’État et de gouvernement de la Cedeao ainsi que ceux de la Mauritanie et du Tchad (membres du G5 Sahel) se sont retrouvés dans une capitale burkinabè gagnée depuis plusieurs mois par la peur d’une attaque terroriste imminente. Pour tenter (on ne pouvait que l’espérer à l’heure où nous mettions sous presse) de trouver cette fois de vraies solutions, de prendre des décisions courageuses, de parvenir à rassurer les millions d’habitants de la région, les visiteurs étrangers ainsi que les investisseurs.

Rien qu’au Mali, des milliers de personnes (militaires et civiles) ont été tuées dans les attaques terroristes. Et quelque 310 000 déplacés ou réfugiés ont été officiellement répertoriés – il y en a beaucoup plus en réalité. En outre, 920 écoles ne fonctionnaient toujours pas à la fin de l’année scolaire 2018-2019 dans les régions affectées par la crise. Plus de 1 000 autres établissements au Burkina Faso et au moins une centaine au Niger ont été contraints de fermer du fait d’attaques ou en raison de risques d’agressions terroristes, menaçant ainsi l’avenir de milliers d’enfants.

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Faire bouger les lignes

L’heure est donc grave. Il ne s’agit plus d’« exprimer sa forte préoccupation », de « condamner fermement », de « lancer un vibrant appel » ou de « saluer » telle ou telle initiative. Il s’agit maintenant de faire bouger les lignes, pour qu’enfin la peur change de camp.

Outre l’action militaire indispensable, plusieurs chantiers doivent être sérieusement explorés et lancés

Pour ce faire, le sommet de Ouagadougou doit constituer le point de départ de quelque chose d’inédit. Concrètement, cela implique que tous les États de la Cedeao se révèlent capables de mettre la moitié des effectifs de leurs armées au service d’opérations coordonnées pour porter enfin un sérieux coup d’arrêt aux activités de quelques groupes criminels – sans devoir attendre d’hypothétiques financements extérieurs.

Il est prévu que les décisions prises à cette occasion soient débattues plus largement lors de la prochaine assemblée générale de l’ONU, à New York… Hélas, sans action décisive de la part des États, le temps qui passe ne leur profite nullement.

Discours religieux déviants

Outre l’action militaire indispensable, plusieurs chantiers doivent être sérieusement explorés et lancés. L’identification des personnes, par exemple. Si une telle exigence n’est pas satisfaite, l’intégration régionale et la libre circulation des citoyens seront forcément mises à mal par les entreprises criminelles et terroristes.

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La prévention de la radicalisation religieuse doit également préoccuper les pouvoirs publics, qui gagneraient à superviser ou même à contrôler la compatibilité du discours religieux avec un État républicain et laïc. La duplicité qui consiste à professer le principe d’un État laïc tout en tolérant, voire en encourageant, l’expansion de pratiques et de discours religieux déviants polluant l’espace public – et ce qui reste de l’État – ne peut plus perdurer.

Au Sahel, et plus globalement, en Afrique de l’Ouest, les défis sont nombreux et concernent pour la plupart la nécessité de reconstruire l’État, de renouveler la puissance publique et les pratiques autodestructrices des politiques et des fonctionnaires. Changer la programmation d’un logiciel de pilotage qui produit essentiellement l’échec, la désolation, le manque et l’incertitude pour en faire un instrument de proximité avec les citoyens, à tous points de vue.

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Sécurité de proximité

Dans la région, fort heureusement, quelques réussites peuvent encore inspirer des solutions aux dirigeants de la Cedeao sans qu’ils aient à tourner le regard vers Paris, Berlin, Washington, Pékin ou Moscou.

C’est le cas, au Sénégal, de la sécurité de proximité, qui vise à faire le lien entre l’État et les différentes communautés. Cela passe par le recrutement de milliers de jeunes formés pour assister, secourir, alerter et encadrer les éventuelles victimes. Ils sont rémunérés et se voient ainsi offrir, après une année consacrée à ce service public, des perspectives d’insertion sur le marché de l’emploi. Cette expérience sénégalaise constitue un début de réponse structurelle à une menace nourrie par la précarité.

La survie de nos États et de notre modèle socioculturel est en jeu

Dans un contexte où l’inquiétude croît légitimement, la Cedeao, politiquement repositionnée dans l’agenda « antiterroriste » après une phase de marginalisation au profit d’un G5 Sahel qui a maintenant montré ses limites, doit se donner les moyens d’être à la hauteur des attentes des peuples ouest-­africains, à court et à moyen termes.

Reconquérir la confiance

Et que dire de la nécessité pour les forces armées et de sécurité publique de reconquérir la confiance des populations alors qu’elles-mêmes sont durement frappées par un ennemi invisible et résistent tant bien que mal avec des moyens plutôt limités ? Qu’elle est impérative, car c’est d’abord dans les cœurs et dans les esprits que la guerre doit être gagnée.

De toute évidence, toute inaction, toute hésitation et tout acte sans portée de la Cedeao, de ses États membres et de ses partenaires se traduiront par un retour de manivelle fulgurant. C’est désormais la survie de nos États et de notre modèle socioculturel qui est en jeu.

Il y a bien un prix à payer si l’on veut continuer à circuler librement dans l’espace régional pour se délecter d’un bon poulet flambé de Ouaga ou de l’alloco d’Abidjan… en toute sécurité.

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