[Tribune] Les deux discours de Paul Biya
Ces derniers jours, après la confirmation d’une allocution inattendue de Paul Biya, même les Camerounais les plus résignés s’étaient pris à espérer ne serait-ce qu’une bouffée d’air. Mais de démission il n’y eut point, pas plus que d’un retour au fédéralisme.
Il fut en revanche question d’un « grand dialogue national » afin de « répondre aux aspirations profondes des populations du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, mais aussi de toutes les autres composantes de [la] nation ». Offrira-t-il une bouffée d’air ? Pas sûr.
Georges Clemenceau disait que, « quand on veut enterrer un problème, il suffit de créer une commission ». Un grand dialogue national, ça marche tout autant. Il y a en effet à craindre que celui convoqué par Paul Biya soit mort-né. Les thèmes ont été décidés à l’avance : bilinguisme, diversité culturelle, cohésion sociale, décentralisation, etc. Des questions sensibles ont déjà été traitées, si l’on en croit le président camerounais.
Le sentiment de marginalisation qu’éprouveraient les populations du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ? « L’exclusion ou la stigmatisation n’ont jamais inspiré l’action des différents gouvernements que j’ai formés depuis mon accession à la magistrature suprême », a tranché l’apôtre du « dialogue ».
La gouvernance catastrophique du pays ? « Depuis mon accession au pouvoir, je n’ai cessé et je ne cesserai de mener, avec acharnement, la lutte contre la corruption et les détournements de fonds publics. » L’organisation d’une transition politique qui verrait le locataire d’Etoudi céder son trône ? « Fort du soutien massif que vous m’avez accordé lors de la dernière élection présidentielle, je continuerai à œuvrer sans relâche […] à relever les multiples défis auxquels nous sommes confrontés. »
Le dialogue sera « présidé » par le Premier ministre, lequel est nommé par le président. Il réunira une « palette diverse de personnalités » dont personne ne sait comment ni par qui elles seront choisies. Personne ne sait davantage ce qu’il adviendra des résolutions, s’il y en a, de ce « dialogue ». Dans quelle mesure engageront-elles l’exécutif ?
Des objectifs non avoués
Ce flou conduit à penser que le discours du président camerounais visait d’autres objectifs : d’abord se relégitimer politiquement en donnant des gages à une communauté internationale dont il est dépendant et qui n’a cessé d’appeler à un « dialogue inclusif ».
Pari en passe d’être réussi, puisqu’en attendant d’autres réactions le secrétaire général de l’ONU et le président de la Commission de l’Union africaine ont d’ores et déjà salué l’initiative. Ensuite, couper l’herbe sous le pied de l’opposition, pour laquelle il sera difficile de refuser l’offre d’un (faux) dialogue qu’elle a réclamé sans perdre le peu de crédibilité qu’il lui reste.
Enfin, distraire l’opinion publique nationale tout en reprenant les commandes de l’agenda politique, en prévision du procès, sensible politiquement, du principal opposant, Maurice Kamto, président du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) emprisonné depuis le mois de janvier, qui s’ouvrira le 8 octobre.
De sorte que sa probable condamnation, qui entérinera de facto la mort de son parti, intervienne dans un contexte d’adhésion populaire autour d’un dialogue qui sera présenté comme un rituel de régénération collective. Ainsi Paul Biya s’ouvrirait la voie de l’éternité au pouvoir.
Conservation du pouvoir
Pour des raisons évidentes, ce serait une mauvaise nouvelle pour le Cameroun. Alors que faire ? À ce stade, ce qui reste de l’opposition a peu de marge de manœuvre et devrait participer à ce qui tiendra lieu de « dialogue ».
Mais elle devrait inscrire sa participation dans la perspective d’une stratégie plus large (qui reste à concevoir) de conquête du pouvoir, qui passe nécessairement par un renversement du rapport de force politique et par la mobilisation des Camerounais autour d’un projet de transformation radicale du pays.
Car, paradoxalement, l’une des leçons de l’adresse présidentielle du 10 septembre, c’est que le président Biya a une stratégie. De conservation de son pouvoir.
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