Restons entre nous

Deux ans après l’admission de dix nouveaux pays au sein de l’Union, le principe de l’élargissement ne fait plus du tout l’unanimité.

Publié le 22 mai 2006 Lecture : 3 minutes.

Le 16 mai, la Commission européenne a dit oui à l’entrée de la Slovénie dans la zone euro, non à celle de la Lituanie, et imposé un nouvel examen de passage à la Bulgarie et à la Roumanie, en vue de leur admission dans l’Union à la date prévue du 1er janvier 2007. Un sérieux avertissement pour les autres pays candidats : Turquie, Croatie, Macédoine, Albanie, Serbie-Monténégro et Ukraine.
En mai 2004, la plupart des Européens se sont réjouis de l’élargissement vers l’Est, en grande partie parce qu’il confirmait la disparition du bloc soviétique. Mais deux ans après l’admission des dix nouveaux pays, beaucoup se plaignent que l’Union s’agrandisse trop, trop vite.
Des sondages récents indiquent qu’une faible majorité d’Européens est encore favorable au principe de l’élargissement. Mais les deux tiers craignent que l’arrivée de nouveaux membres n’aggrave les problèmes qui se posent sur le marché du travail national (voir tableau ci-contre). Des craintes qui s’expliquent par plusieurs facteurs : les inquiétudes sur la stagnation économique ; l’hostilité de plus en plus marquée à l’égard de l’immigration ; la peur d’avoir à accueillir, plus tard, la Turquie musulmane ; et le risque que le poids et l’influence des membres actuels ne soient noyés dans l’abondance des nouveaux arrivants. Ces réticences indignent Olli Rehn, commissaire européen chargé de l’Élargissement. « Il serait, dit-il, totalement irresponsable de revenir sur nos engagements et de casser un processus qui contribue à mettre en place des partenaires stables et efficaces dans les régions les plus instables de l’Europe. » De fait, la perspective d’être accueillies dans l’Union a poussé la Turquie à accélérer des réformes économiques et politiques difficiles, la Roumanie et la Bulgarie à lutter contre la corruption, et la Croatie ainsi que la Serbie-Monténégro à faire un peu plus d’efforts pour retrouver les criminels de guerre.
L’élan européen a été, cependant, sinon brisé, du moins nettement freiné par l’échec du référendum sur la ratification du « traité établissant une Constitution pour l’Europe » dans deux des pays pionniers, la France et les Pays-Bas. Le cas de Rotterdam est particulièrement significatif de cette montée de l’euroscepticisme. C’est la deuxième ville des Pays-Bas avec ses 600 000 habitants, le deuxième port d’Europe avec ses 48 kilomètres de quais et un centre commercial ouvert au monde depuis la grande époque de l’Empire hollandais au XVIIe siècle. Mais la peur des immigrés a donné, au conseil municipal, la majorité au « parti pour un Rotterdam vivable », la Liste Pim Fortuyn, du nom de son leader assassiné en mai 2002. Fortuyn a désormais sa statue à Rotterdam, et la Liste est encore le deuxième groupe du conseil municipal. Son leader actuel, Ronald Sorenson, ne cache pas son hostilité à l’élargissement de l’Union. « Elle est assez grande comme ça, déclare-t-il. Depuis 1989 et la chute du Mur de Berlin, l’idée que nous avons besoin de l’Union pour nous protéger de la guerre est absurde. Ce qu’il faut maintenant, c’est construire un mur économique pour empêcher la Roumanie, la Bulgarie et la Turquie de s’infiltrer. »
Même euroscepticisme chez Jules Deelders, 61 ans, l’un des poètes néerlandais les plus connus, surnommé « le maire de la nuit ». D’abord, parce qu’il trouve trop élevée la « cotisation que les Néerlandais doivent payer à l’Union : 194 euros en 2004, soit la contribution par tête la plus élevée des Vingt-Cinq. Deelders ne veut pas non plus payer la note pour les pays des Balkans, qui, en outre, n’ont pas les indulgences des Néerlandais pour la drogue et l’euthanasie et avec lesquels il y a un fossé culturel profond.
Curieusement, cette hostilité à l’égard de l’élargissement est partagée par beaucoup d’immigrés. Près de la moitié des habitants d’Amsterdam sont nés à l’étranger. Et pourtant, Mimoun Kasmi, 37 ans, un travailleur social d’origine marocaine, est contre l’admission de la Bulgarie et de la Roumanie : il craint que l’arrivée de travailleurs à bas salaire venus de l’Est ne fasse perdre aux immigrés un emploi qu’ils ont eu beaucoup de mal à décrocher. Il se réjouit même des dispositions récentes aux termes desquelles un nouveau venu ne peut demander un permis de séjour que s’il gagne au moins 20 % de plus que le salaire minimum (8,78 euros de l’heure).
La crainte du « moins-disant » est générale. Même le porte-parole du port, Tie Schellekens, qui est pour l’élargissement parce qu’il favorisera les échanges, pense que pour Rotterdam, il y a un risque : que l’UE accorde des subventions à des ports concurrents dans des régions moins développées, comme la mer Baltique. Conclusion de Sander Lutwieler, 27 ans, qui prépare une thèse sur l’Europe à l’université Érasme : l’Union doit mieux faire sa « pédagogie ».

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