Parfum de misère à Bamako

L’historienne Adame Ba Konaré s’est lancée dans la fiction pour attirer l’attention sur la fracture sociale qui déchire un pays comme le Mali.

Publié le 22 mai 2006 Lecture : 3 minutes.

Dis-moi ce que tu sens, je te dirai qui tu es. Comme elle connaît bien le monde des parfums, auxquels elle a consacré son précédent ouvrage*, l’historienne malienne Adame Ba Konaré a puisé avec talent dans le registre des odeurs pour décrire les contrastes sociaux dans l’Afrique contemporaine. Dans Quand l’ail se frotte à l’encens, son premier roman, dont l’action se situe dans une ville qui ne peut être que Bamako, elle campe deux univers qui se font face et finiront par s’entrechoquer. D’un côté, les nantis, représentés par Fatim, l’épouse d’un gros négociant, ainsi que par la femme et la fille de Mamadou Séméga, le « patron de la ville », autrement dit un personnage important de la nomenklatura. De l’autre côté, les Diarra, une famille de misérables, dont la survie est assurée par la décharge publique sur laquelle elle s’est établie (voir l’extrait).
Pendant que les uns triment au milieu des déchets, baignant en permanence dans les effluves pestilentiels pour en récupérer ce qui peut l’être, les autres tuent le temps en frivolités mondaines et en bavardages insipides. Chez les riches, les femmes n’ont d’autre préoccupation que leur apparence, dépensant des fortunes en vêtements et en produits de beauté. Et en parfums, outils de séduction par excellence. Il faut lire par exemple quel soin madame Séméga met à préparer ses compositions à partir de mille et un ingrédients (encens, myrrhe, cypérus, saghine) souvent importés de l’étranger à prix d’or.
Les deux mondes viendront à se rencontrer par l’entremise de Dianguina, l’un des enfants de la tribu des Diarra, qui, à force de volonté et animé par une haine féroce des riches, réussira à poursuivre de brillantes études et à se faire une place dans la société. Jusqu’à pouvoir entrer dans la vie de Safi, la fille des Séméga, qu’il ne tardera pas à séduire avant de lui faire un enfant.
Et puis la petite histoire finira par rejoindre la grande. Nous sommes en 1991, alors que le Mali vit depuis 1968 sous la férule du dictateur Moussa Traoré. La colère gronde au sein de la population bamakoise qui multiplie les manifestations de rue. Devenu l’un des leaders du mouvement de révolte, Dianguina est abattu au cours d’un meeting. De péripétie en péripétie, on découvrira qu’il était apparenté à Seyba Touré, l’un des responsables de la police qui l’a probablement fait tuer.
L’auteure a sans doute voulu rappeler par là qu’un pays comme le Mali n’est qu’une grande famille, ce qui rend d’autant plus insupportable la fracture sociale qui coupe le pays en deux. Ainsi, avec ce roman à l’intrigue habilement menée, Adame Ba Konaré ne fait que poursuivre son travail d’historienne engagée. L’épouse de l’ancien chef de l’État du Mali, aujourd’hui président de la Commission de l’Union africaine, n’a jamais cessé d’uvrer en faveur des catégories les plus fragiles de la société malienne. Militante du mouvement démocratique, aujourd’hui marraine de nombreuses associations à vocation sociale, elle a également créé le Muso Kunda, l’un des rares musées dédiés à la femme en Afrique.
Elle a fait ce détour par la fiction pour, dit-elle, toucher un public plus large que ne peuvent le faire ses travaux universitaires. On imagine facilement un cinéaste s’emparer de son récit. En substituant les couleurs aux parfums.

* Parfums du Mali. Dans le sillage du wusulan, éditions Cauris, 2001.

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