Outrage à francophones

L’accueil glacial réservé au patron de l’OIF a suscité une vive émotion et déclenché une minicrise au sein de la classe politique nationale.

Publié le 22 mai 2006 Lecture : 4 minutes.

Ce serait la première fois que cela arrive au cours d’une visite officielle, avait glissé en substance Abdou Diouf à l’un de ses conseillers, le 9 mai, à la veille de son départ pour le Canada, où il devait assister à la conférence ministérielle sur la prévention des conflits et la sécurité humaine (voir encadré). Le secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) faisait allusion aux rumeurs d’une annulation de la visite de courtoisie qu’il avait prévu de faire au Premier ministre fédéral Stephen Harper, investi au début de février. Outre cette première prise de contact, Diouf devait également s’entretenir avec la gouverneure (d’origine haïtienne) Michaëlle Jean et déjeuner avec Josée Verner, la ministre de la Coopération internationale, de la Francophonie et des Langues officielles.
Le cabinet du patron de l’OIF transmet donc aussitôt à celui du chef du gouvernement canadien cette sorte de message indiquant qu’une telle chose n’était jamais arrivée auparavant. Et attend. Le 10 mai, sur le vol Paris-Toronto AC 881, Abdou Diouf et sa petite équipe se demandent s’ils ont bien fait de transiter par la métropole de l’Ontario si l’escale d’Ottawa pour rencontrer Harper est effectivement annulée. Interrogation prémonitoire. En début d’après-midi, à leur arrivée à l’aéroport Pearson de Toronto, pas de comité d’accueil à la descente de l’avion. Hormis deux agents du protocole : celui de l’aéroport et celui d’Ottawa. Pendant qu’une partie de la délégation se charge d’aller récupérer les bagages, l’autre est censée se rendre au salon d’honneur.
Mais quand les bagagistes de circonstance finissent par rejoindre le salon, personne n’est là. On attend un peu, on s’inquiète, on joue du téléphone, pour finir par apprendre que le reste de la délégation est bloqué à la douane. À commencer par Abdou Diouf. Le portique de sécurité a sonné à son passage. Aussitôt les douaniers lui demandent d’enlever sa veste et ses chaussures. Refus poli mais ferme de l’entourage du secrétaire général. Pas de fouille, ni de scanner. Palabres tendues avec les membres du cabinet du secrétaire général de l’OIF. Concert de téléphones. L’idée de rebrousser chemin et de rentrer purement et simplement à Paris traverse les esprits, surtout celui de Diouf. On l’en dissuade. Tout le monde l’attend à Winnipeg, qui abrite la conférence. Du reste, même pour faire demi-tour ou aller ailleurs au Canada, il faudrait à nouveau affronter l’épreuve de ce satané portique.
D’ailleurs, pourquoi a-t-il réellement sonné la première fois puisque Diouf n’a pratiquement jamais rien dans les poches ? À cause de la montre ? De la ceinture ? On se perd en conjectures, avant que les fonctionnaires canadiens ne le laissent passer ou plus exactement s’asseoir dans l’un des fauteuils d’attente. Au milieu de nulle part. On prend son mal en patience. Les téléphones n’arrêtent pas de bourdonner. En clair, cela fait du bruit, tout le monde est au courant au niveau fédéral ainsi qu’au Québec. Tout le monde bouge aussi. Au final, la petite délégation est conduite au salon d’honneur. Sans être fouillée, bien sûr. Salamalecs, rafraîchissements puis départ pour Winnipeg, rallié le jour même, mercredi, vers 21 heures. Branle-bas à l’hôtel qui ne les attend que pour le lendemain, jeudi, mais qui fait le nécessaire.
L’affaire n’est pas pour autant close. Elle prend au contraire un tour politique. Notamment à la Chambre des communes. L’opposition libérale au gouvernement conservateur de Stephen Harper stigmatise l’accueil réservé au secrétaire général de l’OIF et réclame des excuses officielles. Le député libéral Denis Coderre monte au créneau, raconte par le menu détail le mauvais traitement réservé à Diouf et, comme pour justifier sa colère, cite une des responsables de la sécurité à l’aéroport de Toronto. Celle-ci aurait lancé à propos de Diouf : « On le renverra par avion s’il ne se soumet pas à la fouille corporelle. Même s’il s’appelait Jacques Chirac, il subirait le même sort. » Et Coderre d’interpeller la ministre Josée Verner, dont il demande la démission. Lui et ses amis du Bloc québécois ne comprennent pas ce que la ministre, elle-même élue du Québec, pouvait avoir de plus important à faire le mercredi 10 mai que d’accueillir le « plus haut fonctionnaire de la Francophonie à l’échelle de la planète » à son arrivée à l’aéroport.
Le Sénégal ne pouvait pas être moins indigné. Son ministre d’État chargé des Affaires étrangères, Cheikh Tidiane Gadio demande au gouvernement canadien de présenter des excuses sincères et publiques par la « voix la plus autorisée, celle du Premier ministre ». Dans une lettre à son homologue canadien Peter MacKay, il précise que cette histoire resterait une péripétie « si au lieu de présenter de simples regrets » le gouvernement avait « promptement pris les choses en mains » pour diligenter une enquête. Et Gadio de poursuivre : « La personnalité de l’intéressé et son parcours exceptionnel de grand serviteur de l’État expliquent amplement la vague d’indignation. [] C’est à un tel homme d’État qu’il a été réservé, en terre canadienne, un accueil immérité et désapprouvé à travers le monde. »
L’intéressé reste, lui, égal à lui-même : discret. Il ne sort de sa réserve que pour indiquer qu’il comprend l’émotion que cette histoire a suscité chez lui, au Sénégal, et ailleurs en Afrique. Il n’en dira pas davantage. D’autant que, le 14 mai, juste avant son départ du Canada, le Premier ministre Stephen Harper a pris soin de lui téléphoner pour lui présenter ses profonds regrets. Alors que Josée Verner, entourée d’une bonne partie de son cabinet, a tenu à accompagner personnellement le secrétaire général jusqu’à Toronto où, cette fois, l’épreuve du portique lui a été épargnée

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