Nouréini Tidjani-Serpos, poète-diplomate

Dans son uvre littéraire comme dans son travail de fonctionnaire international, l’écrivain béninois fait preuve de la même inspiration.

Publié le 22 mai 2006 Lecture : 4 minutes.

Lire Jeune Afrique m’est incontournable depuis des décennies. J’oublie que le changement – heureusement depuis corrigé, on espère pour de bon – de titre pour L’intelligent m’avait franchement agacé. Passons. Un fait demeure : la lecture de l’hebdomadaire international du 57 bis, rue d’Auteuil, davantage qu’à une utilité, répond à une nécessité. La chose s’explique d’elle-même lorsqu’on est attentif à tout ce qui touche l’Afrique et sa diaspora. Jeune Afrique est la source où trouver de quoi s’informer, s’éclairer et même se distraire. Un sourire, à l’époque suffocante qui est la nôtre, vaut son pesant d’oxygène : n’est-ce pas l’ami Fouad Laroui ?
Donc, lire Jeune Afrique et découvrir soudain, dans le no 2361 du 9 au 15 avril 2006, au cur de la rubrique « Vous & Nous », l’intertitre « Mon frère et moi », voilà qui retient mon attention, moins pour la confusion – somme toute plus innocente qu’autre chose – entre les prénoms des deux frères de la famille Tidjani-Serpos, Nouréini et Ismaïla, au sujet d’élections au Bénin, que pour l’occasion de m’attarder au premier nommé en sa qualité d’écrivain
Nouréini Tidjani-Serpos est, à mon avis, une des valeurs majeures africaines post-Senghor. Et je suis persuadé qu’il en est de même pour une foule de témoins actifs de la littérature négro-africaine francophone, et, plus largement, de la littérature en général : auteurs, critiques, traducteurs, étudiants d’université ou simples lecteurs
Né en 1946 au Bénin, l’ancien Dahomey, une année après la fin du conflit mondial, vite curieux d’un univers en recomposition, Nouréini Tidjani-Serpos a tôt compris le sens du double phénomène du connaître et du savoir. Son parcours d’étudiant passionné puis de professeur à l’université Paris-VIII, à l’Université nationale du Bénin et à l’Université de Benin City au Nigeria, est brillant. Lancé à sa propre découverte et à l’apprentissage de l’Autre, il reçoit ce qu’il reconnaît être de plus éloquent d’entre ses avoirs et ses reçus : le don de poésie :
« Dans mon cur / J’ai construit un édicule / Toutes portes et fenêtres fermées / Il résiste aux assauts de la scoumoune / Assumant jusqu’au délire / Mes choix architecturaux / Dans mon cur / J’ai arraché les mauvaises herbes / Tout chiendent et chienlit dehors / Elles voulaient m’étouffer /Sous la rage de ma passion / J’ai alors décroché mon cur / Et à un feu de bois je l’ai enfumé / Mon sang s’est asséché / Et tous mes sentiments / Mauvais coucheurs / Ont disparu de mes aortes / Laissant la place libre / À la sérénité. »(1)
C’est dans ses poèmes que je rencontre plus pleinement Nouréini Tidjani-Serpos. Un parti pris que je me dois d’avouer. Et je m’en bats la coulpe septante fois sept fois ! Car l’auteur a d’autres armes miraculeuses pour mener sa guerre contre l’inutile et autres vanités d’être. Je cite comme preuve sa bibliographie déjà riche de six volumes de poésie dont un titre agrémenté de peintures de Jean Caffe et une anthologie de ses uvres complètes, un roman et trois ouvrages critiques qui attestent une profondeur d’analyse et une volonté d’universalité qui font que les travaux auxquels l’auteur se consacre ne relèvent pas de préoccupations autres que fertiles voire solennelles comme la mémoire ou l’orature (le poète dixit), pour ne citer que deux exemples parmi nombre d’autres
Faire le portrait, fût-ce schématique, d’un écrivain, c’est aussi imaginer s’asseoir à sa table de travail, découvrir son cadre familier, habiter son paysage, partager son atmosphère, le temps de le lire ou de le relire. Le cas échéant, selon l’heur, s’entretenir avec lui. J’ai le privilège de souvent bénéficier d’un bon nombre de telles circonstances. Par exemple, en terre africaine, la compagnie d’intellectuels ès qualités comme Djibril Tamsir Niane, Es’kia Mphalele, Sékéné Mody Sissoko, Véronique Tadjo ou autres Iba Der Thiam et, ces derniers temps, au Sénégal et à Paris au siège de l’Unesco, Nouréini Tidjani-Serpos. Dans son uvre d’écrivain et sa mission de diplomate comme dans son métier de fonctionnaire international, je retrouve égale inspiration et même efficacité. Il est parmi ceux-là des ouvriers de l’Afrique en développement qui valent d’être cités en exemple
Après avoir été le coordinateur du premier Festival mondial des arts et cultures vodun (Ouidah 92) et assumé par deux fois les très hautes fonctions à l’Unesco d’ambassadeur, délégué permanent de la République du Bénin, puis de président du Conseil exécutif, Nouréini Tidjani-Serpos est aujourd’hui sous-directeur général de l’Unesco, responsable du département Afrique. Son expérience du continent, son appétit de servir et sa fidélité sont ses cartes maîtresses.
Le poète béninois est aussi un chercheur. Il a faim de « mieux comprendre ». Quoi, par exemple ? Que, et je le cite, « de l’Afrique précoloniale à l’Afrique postcoloniale, en passant par les temps forts et les turbulences que représentèrent les idées culturalistes de l’African Personality, de la Négritude, de l’Authenticité, du Mélanisme et de l’ethnophilosophie, [] notre continent semble, à travers remous, contradictions, contestations et remises en cause, avoir recherché les formes et les modalités d’une désacralisation de la vie, d’une mise à mort des dieux africains, afin qu’émerge de l’écorce que constitue la gangue mystique, le noyau dur des savoirs profanes que, par ésotérisme, il ne fallait confier qu’à des initiés liés par le secret et la loi du silence ».(2) Voilà qui ajoute à mon choix d’esquisser un portrait de Nouréini Tidjani-Serpos qui, par ailleurs, nous laisse sur notre faim quand il s’écrie, d’abord comme à lui-même, tirant sa révérence : « Salut l’artiste mangeur de rêves ! » Tout le reste suit

1. Extrait d’Oeuvres complètes, Nouréini Tidjani-Serpos, éd. Acoria, Paris, 2005.
2. Extrait d’Archéologie du savoir négro-africain. Création esthétique et littéraire, Nouréini Tidjani-serpos, éd. Afridic, Paris, 2005.

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* Edouard J. Maunick, écrivain mauricien, vit à Pretoria (Afrique du Sud).

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