Miser sur l’Afrique

La ville entretient encore aujourd’hui des liens privilégiés avec le continent.

Publié le 22 mai 2006 Lecture : 4 minutes.

Marseille, ville africaine ? L’idée, devenue cliché, fait sourire, et pourtant Albert Londres, le grand reporter, s’en émerveillait déjà en 1927 lorsqu’il arpentait le quartier de la Porte d’Aix, dans le cur vibrant de la ville : « Voulez-vous voir l’Algérie, le Maroc, la Tunisie ? Je vous conduis rue des Chapetiers. Voici les gourbis, les Bicots, les mouquères. » Soixante-dix ans plus tard, la ville a changé, s’est assagie, mais ceux qui passent encore dans le quartier de Belsunce savent que Marseille conserve toujours de nombreuses traces de son passé. Il y a celles, visibles dans les rues du centre-ville, d’une population cosmopolite. Pas moins de 110 000 Marseillais, 14 % de la population de la ville, sont nés de l’autre côté de la Méditerranée, en Algérie, en Tunisie ou au Maroc. Il y a également cette trace que le visiteur découvre à son entrée dans Marseille, l’immense Port autonome qui attirait les travailleurs étrangers par milliers et qui ne s’est jamais complètement remis de la fin des colonies. Il y a aussi, dans l’ordre du symbolique, ce lien particulier que Marseille entretient avec l’Afrique, et qui se traduit par des jumelages anciens avec Abidjan et Dakar, et un autre, plus récent (2004), avec Marrakech. Il y a enfin, ancrées dans la réalité, ces institutions qui ont choisi Marseille pour son ouverture sur le Sud et ces petites entreprises marseillaises implantées au Maghreb ou qui commercent avec lui. En 2005, les importations de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur en provenance d’Afrique ont représenté un quart de ses importations totales.
Poumon de la ville, le Port autonome de Marseille, qui comprend en réalité deux lieux d’activités, l’un dans la rade nord de Marseille, l’autre à quelques kilomètres de là, à Fos, reste un acteur économique central. Premier port français, le PAM est également le premier site méditerranéen et le quatrième européen. « Il entretient des liens historiques avec l’Afrique francophone, et en particulier le Maghreb », souligne Jérôme Giraud, chef de service à la direction de l’action commerciale. Il ajoute : « Dix pour cent de la totalité du trafic du port de Marseille se fait avec l’Algérie. » Si les liens maritimes avec cette dernière sont fortement liés au transport d’hydrocarbures, ils concernent également les marchandises en général. Le port a également une position très importante en Tunisie et au Maroc, même si, dans ce dernier pays, il a été dépassé par le port espagnol de Valence. Bien que leurs poids soient nécessairement moins conséquents, « Abidjan, San Pedro, Lomé, Dakar sont également des partenaires traditionnels ». Pour autant, l’Afrique n’est pas une chasse gardée marseillaise. Tous les clients du port, y compris les pays du Maghreb, commercent de plus en plus avec les grands pays émergents. « La Chine devient un fournisseur important de l’Afrique. Sa part de marché dans les échanges algériens a dépassé les 10 % », souligne Jérôme Giraud. Il rappelle que Marseille aussi travaille de plus en plus avec l’empire du Milieu, qui est devenu en 2005 son premier client pour le trafic de conteneurs. Résultat, la stratégie du port de Marseille évolue : celui-ci entend se positionner rapidement comme un port de redistribution entre les pays africains et, en premier lieu, ceux du Maghreb, et les puissances émergentes que sont la Chine et le Brésil. « En la matière, nous avons plusieurs avantages sur les autres ports, italiens ou espagnols, explique Jérôme Giraud. La langue, la présence d’une communauté d’origine algérienne importante à Marseille et notre bonne connaissance des pays africains. » La proximité du marseillais CMA-CGM, troisième armateur mondial qui a racheté en 2005 Delmas, l’ancienne filiale maritime du groupe Bolloré, et partenaire de premier ordre des ports africains, pourrait aider. Concernant le trafic passagers, le port occupe aussi une bonne place, même si aucune ligne n’existe avec le Maroc. En 2005, 709 000 personnes ont embarqué à Marseille à destination de l’Algérie et de la Tunisie. Le trafic avec l’Algérie est ainsi en augmentation constante depuis son niveau le plus bas en 1994, où il s’était effondré de 60 % en un an.
À l’aéroport de Marseille-Provence, difficile de nier également l’importance du Maghreb. Plus d’un million de passagers ont embarqué ou débarqué en 2005 à destination ou en provenance du Maghreb. C’est près de 40 % du trafic international de Marseille-Marignane. Parmi les cinq villes les plus fréquentées à partir ou à l’arrivée de Marseille figurent Tunis, Alger et Casablanca.
Autre chiffre révélateur : Air Algérie est la compagnie étrangère la plus empruntée de l’aéroport. Une embellie que les autorités aéroportuaires soulignaient dans leur rapport annuel 2005 : « Grâce au trafic charter [+ 28 %], l’Afrique du Nord est le principal moteur de croissance en 2005 [+ 10,5 %]. Le Maroc et la Tunisie affichent une hausse à deux chiffres [+ 12,5 % et + 13,9 % à fin novembre], tandis que l’Algérie se limite à + 7 %. Le trafic annuel sur l’Afrique du Nord dépasse le million de passagers. » Toutefois, le succès des liaisons avec l’Afrique du Nord ne doit pas occulter la rareté de celles avec le sud du Sahara. Les charters connaissent ainsi un succès modéré, avec 6 000 passagers pour le Niger en 2005 et autant sur le Burkina. Pour les vols réguliers, depuis l’arrêt d’Air Gabon avec Libreville, il ne reste que deux lignes, l’une à destination d’Abidjan (Air Ivoire) et l’autre de Dakar (Air Sénégal International). Il y en avait quinze au tout début des années 1990. Une diminution qui s’explique par la marginalisation économique des pays subsahariens. Loin derrière le marché algérien qui reste le premier partenaire africain marseillais.

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