Lettre ouverte à Nicolas Sarkozy
« Monsieur le Ministre d’État, Vous l’avez constaté : votre visite en Afrique, en cette période de débat sur l’immigration en France, a beaucoup surpris. Vous êtes arrivé vendredi 19 mai au Bénin, modeste pays du golfe de Guinée qui n’aime pas jouer dans la cour des grands parce qu’il mesure justement sa place dans le monde : celle d’un petit val qui mousse de rayons. [] En vous arrêtant chez nous au lendemain d’une présidentielle perçue dans toute l’Afrique comme un signe de renouveau démocratique salvateur, vous confortez cette opinion.
Notre Bénin se veut en effet un des pôles du changement dont rêvent tous les peuples, tous les jeunes du continent. Changement dans la gouvernance, changement aussi dans le mode de relation avec nos partenaires. Voilà pourquoi la loi dont vous êtes à l’origine pour maîtriser l’immigration en France ne laisse indifférent aucun responsable africain. Ici, nous sommes solidaires des Sénégalais, des Maliens et de tous ceux qui ont exprimé vivement leur grande préoccupation. Chez nous les choses sont claires depuis longtemps. Sans jamais trop insister, nous savons le prix du sang versé pour la liberté sur des champs de bataille qui nous furent communs. []
Votre voyage en terre africaine ne pouvait que nous offrir l’opportunité d’exprimer notre part de vérité. Notre histoire mêlée à la vôtre a fait de nous des « ayants droit à la France ». Nous avons droit à la France autant sinon davantage que certains ressortissants européens qui s’installent désormais sans nulle barrière de Dunkerque à Avignon. Nous avons droit à la France en raison des sueurs de toutes servitudes, en raison du sang communément versé pour la liberté, de notre langue commune, de l’exception culturelle ensemble revendiquée, de l’économie de traite à compenser.
Nulle raison pour que passent avant nous Allemands, Bulgares ou Autrichiens, Hongrois, Écossais, Polonais ou Croates. Si, pour des considérations « pratiques » devenues malheureusement impérieuses, notre droit à la France doit se trouver abusivement limité, je voudrais que votre visite chez nous serve au moins à reconnaître ce déni de justice et à éveiller en votre esprit – reconnu vif, fécond et créateur – des initiatives audacieuses, rédemptrices du mal qui risque de nous opposer durablement.
J’ose avancer qu’il existe des alternatives crédibles aux lois répressives d’aujourd’hui, et nous devons ensemble nous attacher à les découvrir ou à les inventer.
Ainsi, le 3 novembre 2005, au moment où s’ouvrait à Bamako le 23e sommet France-Afrique, se tenait le même jour à Paris l’assemblée générale de l’Alliance francophone animée par Jean Guion et présidée par l’ancien Premier ministre Pierre Messmer. Cette assemblée résolut d’adresser un message pressant à Bamako pour adjurer les chefs d’État d’instituer, à l’exemple du Royaume-Uni pour les ressortissants du Commonwealth, un régime de visa francophone au profit des étudiants, chercheurs, scientifiques, etc.
Ceci n’est qu’un exemple. Au-delà, beaucoup estiment que les moyens d’une régularisation de ceux qui vivent sur le sol français dépendent d’abord d’une volonté politique et d’une imagination créatrice qui hésitent à s’exprimer. Mais l’initiative la plus éloquente, celle qui serait vraiment française, je voudrais ici l’énoncer :
Établissons un dialogue positif pour découvrir et inventer les projets et les mesures pouvant effectivement retenir en Afrique ceux qui n’ont que le choix de partir. Là est la solution ; et cette solution – quoi qu’elle en coûte – exige une grande politique de codéveloppement. Imaginons la création ou même la délocalisation dans certains pays d’Afrique d’écoles et d’instituts supérieurs de science et de technologie ouverts à des usagers de toutes origines et de niveau suffisamment attractif pour gagner la confiance des plus exigeants. []
Imaginons les investissements pour l’invention commune et la maîtrise commune des infrastructures déficientes pour l’eau, l’énergie et les communications sur tout le continent africain. Cette politique de codéveloppement que nul n’ose, c’est elle qui maîtrisera le flux migratoire. Si les programmes et projets de société des futurs dirigeants d’Europe, de la France en particulier, pouvaient intégrer cette nécessité dans leurs préoccupations, la question de l’immigration deviendrait mineure ; l’intérêt national trouverait une valeur positive dans un développement africain, socle pour la conquête d’échanges porteurs et pour une richesse partagée. Le dialogue autour de cette nouvelle politique économique et sociale élargie revêt un caractère de première urgence.
Si, vous fondant sur votre mémoire citoyenne, vous pouviez accepter, Monsieur le Ministre, de prendre en charge cette nécessité d’une vision moins partiale et moins parcellaire de l’immigration, si vous pouviez contribuer à donner à la France la chance d’une initiative majeure de salut public international, votre visite en Afrique aura été la semence inattendue d’un New Deal dont notre monde a un pressant besoin. La misère et l’humiliation qui accablent les deux tiers de l’humanité, voilà la source de l’immigration sauvage et du terrorisme ravageur. Devant ce mal qui menace et ronge par avance toutes nos conquêtes de prospérité, c’est Schopenhauer que je veux invoquer : Nous n’avons plus aucune chance il faut la saisir. Maintenant. »
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