« Le Gendarme de Chirac »

Publié le 22 mai 2006 Lecture : 6 minutes.

Michel Roussin a rédigé lui-même et publié (chez Albin Michel à Paris) au début de ce mois un très bon livre, que j’ai lu avec intérêt et profit, et que je vous engage à lire.
Ceux-là mêmes qui, comme moi, croyaient bien connaître la France et ses hommes politiques, sa police et son système judiciaire, ses services de renseignement et sa politique africaine, apprennent énormément de presque chacune des 243 pages de ce livre : Le Gendarme de Chirac.
Pourquoi Michel Roussin a-t-il choisi ce titre ? Certes, il a été officier de gendarmerie, chef de cabinet de Chirac et responsable de la sécurité de l’hôtel Matignon. Mais ce n’est pas ce qui a dicté son choix. Interrogé par des journalistes, il a donné une réponse évasive Ce n’est qu’une fois la lecture terminée qu’on comprend que cette expression, inventée par un policier en marge d’une des innombrables auditions de Michel Roussin, décrit une réalité : face aux policiers et aux juges, durant sa mise en examen, sa fouille au corps, les perquisitions de son domicile et de son bureau, sa garde à vue, son incarcération, Michel Roussin s’est montré tout le temps courtois et coopératif. Néanmoins, il n’a rien dit qui soit susceptible de mettre en cause Jacques Chirac.

Tout au long de son calvaire judiciaire, qui a duré onze ans, il s’est donc comporté comme s’il était « le gendarme de Chirac », car c’est ce dernier que les juges voulaient atteindre à travers lui.
Michel Roussin le sait, bien sûr. Mesurant sa solitude, il nous le dit par le truchement de cet aphorisme de La Bruyère, qu’il cite pour illustrer son épreuve : « S’il est périlleux de tremper dans une affaire suspecte, il l’est plus encore de s’y trouver complice d’un grand : il s’en tire, et vous laisse payer, pour lui et pour vous. »
Ce que Roussin ne dit pas et n’écrit pas, et que le lecteur attentif perçoit, c’est qu’il a observé le silence non pas pour défendre Chirac, qui, lui, n’a manifesté envers son « gendarme » ni solidarité ni compassion, mais par éthique et respect de lui-même.

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Le livre et le style de Roussin lui ressemblent : une grande sensibilité, mais constamment bridée par une retenue érigée en seconde nature. Sur lui-même et sur les autres, il révèle beaucoup, même si la sobriété et la pudeur sont toujours là.
L’auteur du Gendarme de Chirac n’utilise pas de mots recherchés ; ceux qu’il utilise sont bien choisis et forts.
Son livre, Michel Roussin l’a d’ailleurs construit comme un film : le générique ? Un premier chapitre de « réflexions décalées » inspirées par un retour matinal d’un énième voyage en Afrique, suivi d’un deuxième, qui relate la dernière séance, un 6 juillet 2005, de cette 11e chambre de tribunal qui va le juger (avec d’autres) dans l’affaire dite des « marchés publics de l’Ile-de-France ».
Le jugement ne sera rendu que le 26 octobre 2005, quatre mois plus tard. Il sera accablant. Sonné, « le gendarme » se rebiffe : avec l’approbation de ses deux avocats, Pierre et Jacqueline Haïk, personnages sympathiques, présents dans tout le film – je veux dire : le livre -, il décide de faire appel de ce jugement qui le révolte.
Tout Michel Roussin est dans cette décision, qu’il a prise de tout son être et sur laquelle le livre/film se termine.

Il a démarré « quatre décennies avant », au printemps 1960 : Michel Roussin va alors sur ses 20 ans et, « après une adolescence joyeuse, agitée et quelque peu rebelle à Rabat (Maroc) », il a décidé de s’engager : son régiment est en Kabylie et la guerre d’Algérie entame ses deux dernières années
Suivent, comme les séquences d’un film et sans que l’ordre chronologique soit toujours respecté, les phases d’une carrière dont le général de Gaulle lui-même lui a prédit un jour qu’elle serait « belle ».
« Belle, je ne sais pas, mais intéressante. »
C’est le jugement que Michel Roussin lui-même porte sur la vie riche et animée que le destin lui a réservée jusqu’ici.

Où en sont les Africains par rapport à eux-mêmes et par rapport à la France ? Qu’en pense Michel Roussin douze ans après avoir quitté la Rue Monsieur, siège du ministère de la Coopération, qu’il n’a dirigé que pendant vingt mois ?
« Je note une aggravation de la crise économique, écrit-il dans les premières pages du livre. En dépit des discours rassurants, il faudra encore de longues années pour que les États abandonnent leur gestion autoritaire et s’adaptent aux règles démocratiques. []
Quant à l’opinion publique, elle ne s’exprime pas. Je suis convaincu que, trop exploitées, humiliées et trompées en permanence sur la réalité de leurs pays, les populations africaines supportent mal ces pouvoirs qui luttent mollement contre la corruption. []

Le temps du paternalisme, des réseaux d’influence, de la personnalisation du pouvoir – même s’il n’est pas totalement révolu -, est dépassé, car on constate une relève de génération dans la classe politique, mais aussi dans la société civile et chez les chefs d’entreprise responsables du secteur privé africain à tous les niveaux.

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J’ai souvent évoqué ces problèmes avec un sage, un vrai démocrate, le président du Mali, le général Amadou Toumani Touré. Porté au pouvoir par un soulèvement populaire, il le quitte, favorise des élections gagnées par Alpha Oumar Konaré, aujourd’hui président de la Commission de l’Union africaine. []
Avec calme, le président Touré privilégie le consensus sans hésiter à solliciter des avis. Sa gestion sereine démontre que l’Afrique n’est pas condamnée au désordre lorsque les pays sont dirigés par des responsables politiques clairvoyants et résolus.
Lors de mes déplacements au Mali, je n’oublie jamais de solliciter un entretien avec le président. C’est un moment privilégié. Chaque réunion se termine par un tête-à-tête au cours d’un déjeuner ou d’un dîner frugal arrosé de sirop de gingembre frais. Tous les sujets peuvent être abordés avec cet homme mesuré, attentif à une opinion populaire difficile à décrypter dans ces pays dont les ethnies sont souvent antagonistes. Lors de mon dernier voyage, depuis la terrasse de l’ancienne résidence du gouverneur aujourd’hui occupée par le chef de l’État, nous admirons le soleil couchant qui vient envelopper la masse blanche de la ville en contrebas et dorer le lit du Niger. []

Les Africains sont fatigués de la France. J’utilise à dessein ce verbe qui chez eux exprime une vraie lassitude. Nous [Français] sommes trop visibles et n’avons plus les moyens de notre politique. Ce dont je suis convaincu, c’est que la France, si elle veut poursuivre ce que certains appellent son uvre, à savoir participer au développement du continent et continuer à y exercer une certaine influence, doit prendre en compte le fait que ces pays sont indépendants depuis plus de quarante ans et que le paternalisme n’a plus cours. Nous devons être plus discrets, changer de comportement, savoir écouter, ne rien imposer, mais répondre aux attentes. Cela doit s’accompagner d’un nouveau langage. Il faut que le gouvernement français conçoive, puis explique comment organiser une relation plus aisée avec nos partenaires africains. »

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Les lignes ci-dessus ouvrent le livre de Michel Roussin. Je les ai citées pour vous donner un avant-goût de l’ouvrage et une idée de l’amitié avec laquelle Michel Roussin pose son regard sur l’Afrique d’aujourd’hui.
Avec son accord et celui de son éditeur, dès que nous les obtiendrons, nous vous donnerons à lire, en plusieurs livraisons successives de Jeune Afrique, les extraits que j’aurai choisis pour leur richesse en informations.

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