Le casse-tête phocéen

Comment rénover un centre populaire sans lui faire perdre son âme ? Comment y créer des richesses tout en respectant ses habitants ? Tels sont les défis que la municipalité doit aujourd’hui relever.

Publié le 22 mai 2006 Lecture : 4 minutes.

Le centre-ville de Marseille a quelque chose de particulier. C’est en descendant la Canebière jusqu’au Vieux-Port, en empruntant l’immense artère qui part sur la droite, dans un étroit passage qui mène rue de Lorette, qu’on peut le découvrir. Ici, derrière la splendeur passée des immeubles haussmanniens de la rue de la République, se trouve l’envers du décor : murs délabrés, appartements abandonnés, linge suspendu d’un balcon à l’autre. Marseille, la plus vieille ville de France, qui a fêté fièrement son 26e centenaire, est l’une des dernières cités au monde à abriter en son centre les couches les plus pauvres de sa population. Depuis longtemps, les discrets bourgeois ont quitté la zone, bâtissant de superbes demeures sur les collines du Roucas Blanc et de Bompard, au sud-ouest de la ville.
Le défi urbain qui s’offre depuis quelques années aux politiques marseillais, municipalité, conseil général, conseil régional et préfecture, consiste en trois points : rénover l’habitat tout en préservant la mixité sociale, mettre fin au déficit de logements, attirer des entreprises et des cadres. Le projet Euroméditerranée, le grand chantier lancé en 1995 et qui est entré cette année dans son ultime phase, en est le symbole. Son objectif : développer cette vaste zone située en plein cur de la ville et comprise entre le Port autonome, le Vieux-Port et la gare TGV. Depuis dix ans, les collectivités et les maîtres d’ouvrage publics, avec l’aide de l’Union européenne, ont investi plus de 1 milliard d’euros dans l’opération. Avec des résultats visibles, comme la construction de plusieurs tunnels, la réhabilitation des docks, reconvertis en immeubles d’affaires, la restructuration de l’ancienne manufacture des tabacs, transformée en pôle média et culturel, ou encore la construction d’une nouvelle gare maritime de passagers, qui doit être inaugurée début juin. Détenus par deux promoteurs, les immeubles de la rue de la République, qui comprennent en tout 3 300 logements, sont également en cours de rénovation. Par ailleurs, les chantiers d’Euroméditerranée, même si certains d’entre eux tardent à se concrétiser, ont favorisé le développement de nombreux projets privés (voir encadré) : les promoteurs immobiliers ont notamment livré 1 300 logements neufs dans le périmètre.
Au-delà du périmètre portuaire, c’est dans toute la ville que l’on rénove, détruit et reconstruit. Le secteur du bâtiment et des travaux publics, pourvoyeur traditionnel d’emplois, est l’un des moteurs économiques de la ville. Alors que l’aménagement de la première ligne de tramway est en cours, la Canebière, grande artère qui abritait autrefois des hôtels prestigieux et des magasins chic, mais qui n’est plus que l’ombre d’elle-même, est éventrée. Trois lignes de tramway sont prévues d’ici à 2009 et une des lignes du métro doit être prolongée, pour un coût global estimé à 818 millions d’euros par la municipalité. Le projet d’autoroute de contournement permettant de relier le nord de la ville au sud est toujours d’actualité, mais son financement, estimé à 1,1 milliard d’euros, n’est toujours pas bouclé. Dans toute la ville, l’immobilier a été pris de frénésie avec l’ouverture de la ligne TGV reliant la ville à Paris en trois heures. Entre 1995 et 2004, les prix à la vente ont augmenté de 12,5 % par an. Sur les cinq dernières années, l’augmentation a même atteint les 20 % par an pour s’établir aujourd’hui à un niveau supérieur à celui de Lyon. Un phénomène qui s’explique en partie par le déficit structurel de logements et qui se résout actuellement par l’utilisation du moindre espace vide dans une ville qui en compte encore beaucoup, Marseille étant, en dehors de son centre, une conurbation de nombreux villages. Résultat : les cinq promoteurs les plus actifs à Marseille commercialisent actuellement près d’une quarantaine de programmes de logements neufs, dont certains seront livrés en 2008.
Marseille, qui semblait s’être habitué depuis une trentaine d’années à une relative léthargie, se réveillerait-il ? En termes de construction, oui. Au plan économique, pas encore. Les chantiers, aussi nombreux soient-ils, n’ont pas fait de la cité phocéenne une ville riche. Elle connaît encore bien des difficultés à susciter autant de créations d’entreprises et d’emplois que ne le fait Lyon. Bien qu’il ait fortement diminué depuis dix ans, le taux de chômage reste supérieur de quatre points à la moyenne nationale. Le niveau de vie moyen reste inférieur d’un tiers à celui des Lyonnais. C’est donc sans surprise que la rénovation urbaine en cours a créé de nombreuses tensions. Des conflits qui se sont concentrés jusqu’à récemment autour de la symbolique rue de la République. Mené par une association, baptisée « Centre-ville pour tous », exploité ensuite dans un combat politique pour les élections à venir par le président du conseil général, le socialiste Jean-Noël Guérini, le débat touche la question du relogement des couches les plus pauvres de la rue et, plus largement, de tous les quartiers centraux Il faut dire que, par le passé, certains propos ont parfois frisé le mépris, les politiques parlant, un temps, de reconquérir un centre-ville, qui, en réalité, n’avait jamais été abandonné que par les classes moyennes et les élus. Interrogé en 2001 par le quotidien économique La Tribune, voilà comment le maire de Marseille, avec sa faconde caractéristique, répondait aux critiques : « Ma politique ne plaît peut-être pas aux nostalgiques de la gauche, qui ont laissé pourrir le centre-ville pendant des années. Mais elle plaît aux Marseillais. Le Marseille populaire, ce n’est pas le Marseille maghrébin, ce n’est pas le Marseille comorien. Le centre a été envahi par la population étrangère, les Marseillais sont partis. Moi, je rénove, je lutte contre les marchands de sommeil et je fais revenir des habitants qui payent des impôts », expliquait alors Jean-Claude Gaudin.

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