Kinshasa vaut bien une messe

Avec le mariage annoncé du chef de l’État, la religion s’invite dans la campagne électorale.

Publié le 22 mai 2006 Lecture : 3 minutes.

Les téléphones portables de Kikaya bin Karubi, secrétaire particulier du chef de l’État congolais, sont, d’ordinaire, très sollicités. Mais ils n’arrêtent plus de sonner depuis que Mgr Frédéric Etsou, archevêque de Kinshasa, a annoncé le mariage de Joseph Kabila lors de son homélie du dimanche 14 mai. Politiques, militaires, hommes d’affaires, diplomates, religieux de toutes obédiences souhaitent assister le 4 juin – jour du 35e anniversaire du président – à la bénédiction nuptiale du chef de l’État et de la belle Marie Olive Lembe Disita, sa jeune compagne originaire de l’est du pays. La nouvelle intervient alors que le cardinal Etsou et plusieurs évêques ont multiplié, ces dernières semaines, les déclarations pour exhorter la communauté internationale et le pouvoir en place à ne pas imposer « d’avance une issue à l’élection présidentielle », dont le premier tour doit se tenir le 30 juillet.
Jusqu’à présent, le couple présidentiel, qui a déjà un enfant de 5 ans, la petite Sifa, vivait en concubinage, une situation difficilement acceptable par l’Église et les fidèles. D’autant que Joseph Kabila, qui a beau régulièrement réaffirmer sa foi, n’avait pas choisi sa chapelle. « Que je sois catholique, protestant, méthodiste, kimbanguiste, ce n’est pas cela qui compte. Je crois en Dieu, je suis chrétien, je lis la Bible, je prie beaucoup, beaucoup plus que la plupart des catholiques et des protestants. L’essentiel est là », affirmait-il dans un entretien à Jeune Afrique en avril dernier, refusant de confirmer les rumeurs de mariage. Kabila s’est donc, semble-t-il, laissé convaincre par son entourage et les diplomates occidentaux qui lui conseillaient de légaliser sa situation familiale et d’en faire un événement clé de sa campagne. Ses amis, bien sûr, protestent. Pour eux, il s’agit d’un acte d’amour dans lequel ils ne sont pas intervenus. Ces mêmes proches reconnaissent toutefois que l’engagement ne pourra être célébré de manière discrète, comme le souhaitait apparemment le président.
Cette union présente en tout cas de nombreux avantages : elle permet à ses partisans d’occuper le paysage médiatique juste avant les élections et de confirmer les origines familiales du candidat avec la publication des bans. Le chef de l’État coupe ainsi l’herbe sous le pied de ses détracteurs qui l’accusent d’être rwandais plus que congolais.
Il se rapproche également du cardinal Etsou, dit-on, toujours proche des mobutistes. Son principal adversaire chez les catholiques demeure l’archevêque de Kisangani, Mgr Monsengwo, le président de la Conférence épiscopale du Congo. Ce dernier a déclenché les hostilités le 1er mai en demandant une révision du processus électoral et de l’agenda auquel tous les acteurs politiques ne sont pas associés. Dans la foulée de ses déclarations, plusieurs partis ont demandé des ajustements du processus en faveur du principal parti d’opposition, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) d’Étienne Tshisekedi. Il n’est un secret pour personne que Mgr Monsengwo, ancien dirigeant de la Conférence nationale souveraine en 1991-1992, se montre très critique à l’endroit de l’action présidentielle et témoigne plus d’attachement aux thèses de l’UDPS. Et marque ainsi sa différence à l’endroit de l’archevêque de Kinshasa, Frédéric Etsou, plus en harmonie avec l’abbé Malu Malu, président de la Commission électorale indépendante (CEI). Les deux cardinaux jouent de leurs réseaux d’influence auprès des parrains de la transition ainsi que des acteurs politiques et multiplient les séjours à Rome pour y faire entendre leurs messages.
Chez les partisans du chef de l’État, on souhaite limiter au maximum la capacité de nuisance des personnalités religieuses et surtout des prédicateurs durant la campagne. Ainsi, les autorités n’ont pas hésité à faire arrêter Fernando Kutahya, pasteur de l’Église autoproclamée « Armée de la victoire », le 14 mai, et à réprimer les manifestations de ses adeptes. On reproche au pasteur, fraîchement rentré d’exil, de prêcher « la haine » et d’avoir stocké des armes à son domicile. Le cabinet du vice-président Bemba a vivement réagi en dénonçant « une cabale » visant à « nuire à l’honorabilité d’un homme de Dieu ». Démentant l’affectation de militaires dépendant de sa garde à la sécurité du pasteur, le chef de l’ex-rébellion du Mouvement de libération du Congo (MLC) et candidat à la présidentielle de juillet 2006 demande la mise en place d’une commission d’enquête indépendante pour établir la vérité sur cette affaire
Les questions religieuses risquent d’être au centre de la vie politique congolaise dans les prochaines semaines. Le chef de l’État n’aura, quant à lui, guère le temps de s’offrir un voyage de noces.

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