Jean Privey « Donnez-nous des domaines miniers, nous trouverons du pétrole ! »

Priorités, stratégie, projets de développement Le directeur production-exploration Afrique de Total trace les perspectives de son groupe sur le continent.

Publié le 22 mai 2006 Lecture : 7 minutes.

Jean Privey est l’homme d’une entreprise. Sitôt ses brillantes études achevées (diplôme de l’École centrale de Paris suivi d’une licence en sciences économiques), le jeune ingénieur intègre, en 1972, la société Elf pour faire de la prévision économique. Trente-quatre ans plus tard, il a gravi les échelons et occupe le poste de directeur Afrique du groupe Total, qui a absorbé Elf, chapotant toutes les opérations de recherche et de production. Fin connaisseur du continent et de ses dirigeants, le centralien a fait ses classes au Cameroun dans les années 1980 avant d’occuper différents postes de direction en Europe et aux États-Unis. Il retourne en Afrique en 1999 pour diriger la filiale TotalFinaElf E&P Angola. Deux ans plus tard, il est promu à la tête de la branche gaz et électricité du groupe Total avant d’accéder au poste de directeur Afrique. Vif, technique, précis, le Français est un ardent défenseur de la politique industrielle française sur le continent. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Jean Privey nous livre les priorités, la stratégie et les projets de développement de Total dans les années à venir. Il revient également sur l’évolution du marché africain (concurrence, rentabilité des gisements, partage des risques…) et les perspectives du gaz.

Jeune Afrique : Pour la première fois dans l’histoire du groupe, l’Afrique devient la principale région de production d’hydrocarbures
Jean Privey : L’Afrique est aujourd’hui notre première zone de production et de croissance. La majeure partie de nos développements est réalisée dans l’offshore profond (entre 500 et 1 500 m au-dessous du niveau de la mer) et ultraprofond (au-delà de 1 500 m). Nous continuons à réaliser des investissements considérables sur le continent, particulièrement au Nigeria et en Angola, deux pays où les extractions vont sensiblement augmenter dans les années à venir. Notre production est passée de 620 000 barils-équivalent pétrole (bep/jour) en 2001 à 776 000 bep/j en 2005 et devrait atteindre 1,2 million de barils en 2010. La croissance future des extractions (7 % par an) proviendra de l’entrée en activité des nouveaux champs offshore sur les blocs d’Akpo et d’Usan au Nigeria, ainsi que sur les champs de Dalia, Rosa et Pazflor en Angola. La compagnie prépare activement l’après-2010 et poursuit ses explorations sur les blocs OPL 246 et 222 au Nigeria, sur les blocs 14, 17 et 32 en Angola et sur les permis MTPS et Haute Mer C au Congo-Brazzaville.
Vous êtes moins présent onshore et sur les nouveaux pays pétroliers : Guinée équatoriale, São Tomé e Príncipe, Tchad, Mauritanie, Mali
À terre, des recherches sont en cours en Mauritanie (blocs Ta7 et Ta8), en Algérie (bassins de Timimoun et Bechar) et reprendront au Soudan (bloc B) quand les conditions de sécurité le permettront. Les ressources prouvées du groupe en Afrique s’élèvent à quelque 3,5 milliards de barils, soit près de 32 % des réserves totales de la compagnie. Au Tchad, les découvertes de Doba ont été initialement faites par Elf et Shell, mais nous les avons vendues, car les coûts techniques d’exploitation étaient trop élevés par rapport à nos critères internes de rentabilité de l’époque, l’huile produite devant être acheminée à travers un pipeline qui traverse une partie de ce pays et tout le Cameroun alors qu’elle est réputée « lourde » et fait l’objet d’une décote sur le marché.
Est-ce à dire que le pétrole tchadien n’est pas rentable ?
On ne regrette pas d’avoir vendu nos permis Ce qui ne veut pas dire que l’on ne reviendra pas au Tchad.
Vous n’avez pas peur de laisser la place aux Américains, aux Chinois et aux Brésiliens, notamment en Guinée équatoriale ?
Nous allons prioritairement là où nous estimons qu’il y a un fort potentiel géologique. Nous avions un permis d’exploration en Guinée équatoriale. Malheureusement, nous n’avons rien trouvé.
Le Rio Mumi sur la partie continentale, par exemple, n’est pas une zone rentable ?
Cette zone n’est pas prioritaire par rapport à nos risques en matière d’investissements. Nous ne sommes pas prêts à prendre des permis à n’importe quel prix, comme certains de nos concurrents des pays du Sud.
Avez-vous peur des nouveaux venus (groupes chinois, malais, indiens, brésiliens) ?
On peut effectivement se poser des questions si l’on examine la formidable progression des compagnies chinoises dans un autre domaine, le textile. Il faut dorénavant compter avec les nouveaux arrivants, Chinois, Brésiliens ou encore Indiens, qui disposent de moyens financiers très importants. Ils travaillent surtout sur la terre ferme et peu offshore, mais n’ont pas encore fait beaucoup de découvertes, en dehors de la China National Petroleum Company (CNPC) au Soudan. En revanche, ils rachètent, assez chers, des permis existants. On s’attend à ce qu’ils soient de plus en plus présents dans les appels d’offres en Afrique, notamment en Angola et au Nigeria.
Faut-il travailler avec les Chinois et les Indiens ?
Nous le souhaitons. D’ailleurs, Total coopère déjà avec la chinoise Cnooc au Nigeria. Nous étudions la possibilité de travailler avec les compagnies asiatiques dans ce pays et en Angola. Mais nous discutons également avec tous les autres groupes présents dans les pays où nous sommes implantés. Les investissements pétroliers sont considérables, et les grandes compagnies ont l’habitude d’en partager les risques.
Les États africains sont-ils réellement de plus en plus tenaces dans les négociations ?
Ils ont pris conscience depuis longtemps de la nécessité d’un meilleur partage de la rente. Ils proposent des contrats liés à l’intérêt de leur domaine minier en tenant compte, bien évidemment, de l’environnement concurrentiel, de la demande croissante en hydrocarbures au niveau mondial et de l’évolution du prix du pétrole. Dans ce cas, il n’est pas nécessaire d’entreprendre de nouvelles négociations car les variations de la répartition des prix de la rente entre l’État et les compagnies opérantes ont déjà été étudiées. Certains types de contrats peuvent néanmoins être rediscutés pour faire profiter tout le monde de la hausse des cours. Les contrats pétroliers constituent la pérennité du partenariat entre un État producteur et une société.
La remise en question de contrats préalablement signés, comme en Mauritanie, vous inquiète-t-elle ?
En Mauritanie, les premiers contrats ont été passés, d’après la presse, en faveur des compagnies pétrolières au détriment de l’État. Les autorités ont donc rediscuté avec la société australienne à l’origine des premières découvertes pour trouver un accord plus conforme aux attentes des uns et des autres. Généralement, les contrats sont respectés, même si certains États peuvent être tentés de changer leur fiscalité quand il y a beaucoup d’opérateurs prêts à venir investir chez eux.
Au Nigeria, les autorités ont décidé d’interdire le flaring (torchage*) à compter de fin 2008. Quelle évolution cette nouvelle réglementation entraîne-t-elle ?
Le gaz africain a longtemps été considéré comme inutile et inexploitable faute de marché gazier assez rentable. Ce qui explique l’importance du torchage sur les exploitations du continent. Il y a eu une forte évolution de la réflexion avec la hausse des cours du gaz, la volonté des États de valoriser ce produit et le besoin de réduire les émissions de gaz à effet de serre. En Angola, nous avons un projet de production de gaz naturel liquéfié (GNL) à partir d’une usine d’une capacité d’environ 5 à 6 millions de tonnes par an, qui débutera en 2011. Ce qui permettra d’éviter le torchage sur nos gisements du bloc 17 et ceux de nos concurrents. Au Nigeria, nous sommes aussi partenaires avec Agip et Shell du terminal GNL de Bonny Island qui produit annuellement 25 millions de tonnes exportées vers l’Europe. À terme, l’ensemble des projets gaziers du Nigeria devraient permettre de produire près de 70 millions de tonnes par an.
L’américain Marathon a également une usine GNL qu’il voudrait développer en Guinée équatoriale et vous a approché
Marathon a contacté plusieurs opérateurs des pays voisins du Golfe de Guinée pour les inviter à participer à son projet de récupération du gaz qui est exploité sur le site de Punta Europa, à proximité de Malabo, où le groupe voudrait étendre ses installations. On est en discussion.
Le gaz a-t-il plus d’avenir en Afrique que le pétrole ?
Les réserves africaines de gaz sont plus importantes que celles de l’Europe et des États-Unis. Mais dans beaucoup de pays, comme en Algérie, le gaz se trouve dans des régions très enclavées. Cela dit, le gaz a un fort potentiel : GNL, méthanol, éthanol Tout dépend du prix de cette énergie qui a fortement progressé ces dernières années et tourne actuellement autour de 6 dollars le m3 BTU en moyenne.
À quand le peak oil africain ?
Ce n’est pas qu’une question africaine. Dans les années 1970, les études disaient qu’il n’y aurait plus de pétrole en 2000. Nous sommes en 2006, et il y en a toujours. On repousse année après année le potentiel de production. On améliore la valorisation des ressources, notamment avec l’exploitation des sables bitumineux ou la réouverture d’anciens puits. On explore aussi de nouveaux domaines, particulièrement dans l’offshore profond et ultraprofond. Malgré tout, 75 % du pétrole disponible dans les exploitations n’est pas extrait pour de simples raisons techniques ou de rentabilité. Il y a, par ailleurs, des réserves sur la Terre qui ne sont pas exploitées. C’est notamment le cas dans plusieurs pays de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), qui disposent de cent à cent cinquante ans de réserves, mais ne voient pas d’urgence à ouvrir davantage leur domaine minier. Nous les invitons à s’ouvrir davantage à l’investissement étranger.
En attendant, les prix augmentent. Cela ouvre de nouvelles perspectives d’investissements avec les bénéfices réalisés
Si la fiscalité des États producteurs reste adaptée et que le cours du baril demeure à 60 dollars, voire monte à 100, les grandes compagnies ont la possibilité de réaliser des investissements un peu partout dans les grandes zones de production. Total a les coûts techniques parmi les plus bas des majors pétrolières, à environ 8,50 dollars le baril. Donnez-nous des domaines miniers, nous trouverons du pétrole !

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* Opération visant à éliminer, en les brûlant à l’air libre, les gaz résiduels lors de l’extraction du pétrole.

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