Dakar, ville-galerie

Peintures, sculptures, installations, photos, vidéos Avec Dak’Art 2006, la création africaine a envahi la capitale sénégalaise.

Publié le 22 mai 2006 Lecture : 5 minutes.

Sous les pas saccadés et la gestuelle militaire de l’artiste, la terre rouge de la cour du musée de l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan) se soulève, le nimbe d’un halo cuivré et poudroie son uvre gigantesque. Prudents, les visiteurs reculent de quelques pas pour éviter le nuage de poussière, mais contemplent, fascinés, le curieux manège d’Emmanuel Eni. Vêtu d’un treillis et chaussé de bottes, brandissant les drapeaux palestinien et israélien, qu’il frappe l’un contre l’autre avant de les enrouler en une étroite étreinte, ce plasticien nigérian se livre à une danse martiale aussi silencieuse que frénétique. Mais a-t-il besoin de parler ? Son uvre Israël & Palestine est suffisamment explicite. Le panneau géant, composé de cent bidons d’huile garnis de ceintures explosives, symbolise le conflit du Proche-Orient ainsi que l’inutile cruauté de tous les conflits en général.
Le ton du Dak’Art 2006 est donné. Comme si nombre d’artistes de cette septième édition de la Biennale de l’art africain contemporain de Dakar, inaugurée le 5 mai par le président Abdoulaye Wade, s’étaient donné le mot pour dénoncer toutes les formes de violence. Toujours au musée de l’Ifan, l’un des trois sites (avec la Maison des anciens combattants et la Galerie nationale) qui abritent l’exposition officielle, le Burkinabè Siriki Ki tourne en dérision le fanatisme sauvage qui règne dans les stades, transformant les matchs de football en guerre. En réalisant son uvre Onze national, qui met en scène onze joueurs de la même équipe s’affrontant sur un terrain, l’artiste a voulu illustrer l’absurdité du comportement des supporteurs. « Je me suis plongé dans la tête de certains hooligans. Pour assurer la victoire de leurs favoris, je leur propose de n’avoir sur le terrain que leur équipe nationale. »
Autre création qui invite le spectateur à entrer de plain-pied dans l’actualité, l’installation de l’Ivoirien Robert Jems Bi Koko : un mur de barbelés, sur lesquels sont accrochés des lambeaux d’étoffes et des gants, symbolise la tragique épopée des migrants subsahariens de Ceuta et Melilla. « L’art est un acte majeur de militantisme dans le sens le plus pur du terme », avait affirmé le président Wade dans son discours d’ouverture. En voici un exemple fort.
S’il est bienvenu d’éclairer les consciences avec des sujets graves, la Biennale est avant tout une vitrine des tendances artistiques. Les quatre-vingt-sept artistes originaires de vingt-huit pays qui font partie de la sélection officielle ont, chacun à sa manière interprété le thème de ce Dak’Art 2006 : « Afrique, entendus, sous-entendus et malentendus ». Installations, peintures, sculptures, vidéos, photos, photomontages ou dessins, cette gigantesque galerie qu’est la Biennale donne à chaque créateur l’occasion d’exposer son talent comme il l’entend. Au visiteur d’adhérer ou non à telle ou telle uvre et au message qu’elle véhicule. Car c’est aussi en cela que cet événement, véritable bouillonnement culturel, est intéressant. De l’artiste primé comme le Marocain Mounir Fatmi, qui, en rendant hommage aux Black Panthers dans son installation vidéo, a décroché le Grand Prix 2006, à son confrère moins en vue, chacun défend ses convictions.
Mais le Dak’Art ne se limite pas à la sélection internationale. Le « off », ces espaces d’exposition en marge des sites réunissant les artistes sélectionnés ou invités par la Biennale, réserve des surprises d’un autre genre. Au Théâtre national Daniel-Sorano, sept plasticiens originaires de la Casamance ont investi le premier étage. Ils font partie de ces créateurs venus pour la première fois des régions du Sénégal. Le peintre Omar Camara, qui revendique ses origines diola, mandingue, bambara et peule, tout « offé » qu’il soit, espère bien profiter de cette plate-forme de visibilité que lui offre la manifestation. Bien loin des interprétations toutes personnelles de drames ou de conflits mondiaux, Camara s’inspire de sa propre expérience. Ses tableaux aux chaudes couleurs racontent son initiation dans les bois sacrés de Casamance. Le rouge symbolise la puissance, le jaune la sécurité et le bleu la sérénité. Chez son collègue Denis Gomis, c’est le vert lustré des plantes et des feuillages qui prend d’assaut la toile. Ce peintre « écologique » rend un hommage perpétuel à la nature, sa muse et le thème exclusif de son art. « La peindre est une manière de ne pas la laisser sombrer », explique Gomis, dont l’approche naïve rappelle un peu les tableaux du Douanier Rousseau.
Cette lutte pour la préservation du patrimoine naturel aura-t-elle quelque portée dans une Biennale qui foisonne de cheminements artistiques si variés ? Celle-ci s’affirme d’année en année, malgré quelques petites faiblesses d’organisation qui devraient être vite corrigées, si l’on en croit Ousseynou Wade. Le secrétaire général de la Biennale a l’honnêteté de le reconnaître : « J’ai le sentiment qu’un pas a été franchi au niveau de la qualité de la sélection et de l’élargissement des bases de la représentation des pays participants. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire. Nous devons notamment améliorer la maîtrise des délais d’exécution du programme de préparation. »
Un constat qui trouve comme un écho dans l’uvre de l’artiste dakarois Babacar Niang. Cet enfant du pays ne s’est-il pas inspiré des différents maux qui rongent la société sénégalaise pour créer son uvre Embouteillage urbain ? Celle-ci est constituée d’un assemblage de bouteilles surmontées d’un toit en jute hérissé d’antennes, qui s’élancent vers le ciel dans un parfait désordre. « Anarchiques certes, ces antennes n’en disent pas moins le besoin ressenti en Afrique d’être au diapason de l’actualité malgré la pauvreté », explique l’auteur.
La Biennale a fait des efforts considérables pour se rapprocher de ce qui se fait sur le plan international. Son retour dans le quartier du Plateau après les deux dernières expériences peu concluantes au Centre international du commerce extérieur (Cices), à l’extérieur de la ville, permet de concentrer l’exposition sur trois sites, qui peuvent être reliés à pied. Le Dak’Art 2006 garde ainsi plus que jamais sa place d’événement culturel majeur du continent.

VIIe Biennale de l’art africain contemporain de Dakar (Dak’Art 2006), du 5 mai au 5 juin 2006. Voir sur : www.dakart.org

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